COMPTE-RENDU – Après Marseille, les oeuvres de Zad Moultaka et Jesper Nordin autour de la poétesse grecque ont été données lors d’un concert exceptionnel à l’auditorium de Bordeaux regroupant neuf chœurs amateurs et trois ensembles de musique contemporaine.
Autour d’eux, 350 choristes, recrutés parmi neuf chœurs amateurs de la région : l’ensemble vocal d’Aquitaine d’Eliane Lavail, le Groupe vocal Arpège de Jacques Charpentier, les ensembles Stella Montis et Arianna de Frédéric Serrano, le chœur « Odyssée » de Marie-Anne Mazeau, le chœur de l’école de musique de Talence et le chœur de femmes Eurydice dirigés par Damien Sardet, le chœur de l’école de musique de Gujan-Mestras de Sylvie Golias et le Groupe vocal Arcana sous la direction de Philippe Douenne. A cela on peut ajouter l’orchestre Molto Assai, dirigé par Bernard Poulet. Les choristes étaient placés derrière la scène mais aussi sur tout le premier balcon permettant aux deux compositeurs du programme de jouer sur la spatialisation sonore. Tous se sont surpassés lors de cette soirée, sans doute galvanisés par l’acoustique du nouvel auditorium bordelais. Leur belle cohérence qui est avant tout, le propos de ce projet.
Depuis 2010, les trois ensembles Proxima Centauri, Musicatreize et L’Itinéraire réunissent les forces vivent locales, à Bordeaux ou à Marseille, pour créer des œuvres de différents compositeurs. Après François Rossé en 2010, « Bacchanales » d’Alexandros Markéas avait été donné avec succès au Rocher de Palmer en 2011. Cette année, deux créateurs sont à l’honneur : Zad Moultaka, d’origine libanaise et le Suédois Jesper Nordin. Leurs deux pièces ont été données pour la première fois en septembre dernier à Marseille. Un même thème les réunit : Sapphô de Mytilène.
Dans la partition de Jasper Nordin, «Sapphô’s Legacy», la musique de l’une vient révéler les écrits ou poèmes de l’autre. Elle commence par une voix douce de femme, soutenue par quelques notes au xylophone qui s’évanouissent peu à peu, comme une parole qui n’arrive pas à être entendue. Serait-elle « emportée par le vent », comme le chantait Noir Désir ? Sans doute car les chants des choristes placés en demi cercle sur tout le premier balcon de l’auditorium imitent une bourrasque traversant les lieux. L’oeuvre laisse une impression très agréable d’enveloppement et de rythmes apportés par des accords marqués par les deux pianos, accords amplifiés et déformés par ordinateur. Les pianistes armées de marteaux de percussion dessinent des glissandi sur les cordes de l’instrument pour un effet très inquiétant. Seul regret : une partie centrale dans laquelle un chant d’hommes (antinomique par rapport au sujet ?) aux voix trainantes et dysharmoniques, tel un groupe de zombies, fait retomber l’intensité et le charme de la pièce.
Sa partition venant en deuxième partie pouvait paraitre moins spectaculaire que celle de Nordin. Pourtant elle est diablement plus bouleversante ! Elle semble pénétrer votre corps profondément. Si le propos est le fragment, Zad Moultaka compose un savant tuillage tout en continuité. Nordin jouait de la spatialisation en dessinant un demi cercle sonore, comme la hola des stades de foot. Moultaka va beaucoup plus loin : entrée des choeurs petit à petit, trompettes placées aux quatre coins de l’auditorium, trois chanteuses solistes également dispersées mais chantant à l’unisson… tout ceci construit une circulation étonnante qui semble se rapprocher de l’auditeur pour le pénétrer. Dans cet amphithéâtre, cet agora sonore, la grosse caisse, puis le piano en écho, lancent des coups de semonce aux auditeurs. Magnifique !
Photo du concert © Fréderic Desmesure.
Magnifique compte-rendu d’une belle soirée musicale.