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Gérard Fauvin, complètement marteau

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Gérard Fauvin © www.celinelevain.com.

RENCONTRE – Accordeur, restaurateur, vendeur : le piano est au cœur de la vie de Gérard Fauvin.

Quand un pianiste international entre sur la scène de l’auditorium de Bordeaux, une silhouette sort des coulisses et se glisse dans la salle. Jusqu’à la dernière minute du concert, Gérard Fauvin reste à la disposition du pianiste, ou plutôt du piano : le Steinway « de concert », modèle D, le plus grand, le plus beau, le plus cher de cette marque mondialement reconnue. Accordeur ? Bien plus que cela. « Gérard est un très bon technicien mais il a quelque chose en plus, témoigne le pianiste français Bertrand Chamayou, une touche originale. Il est prêt à tout quand il s’agit de piano. Il se situe entre l’artiste et le bricoleur. »

L’homme qui accueille les visiteurs au Domaine musical de Pétignac à Jurignac, en Charente, n’est plus une ombre discrète mais un jovial lutin excité comme à la veille de Noël. Entre contrepèteries et citations de Mallarmé, il fait le tour du propriétaire. Dans l’entrée de cette ancienne maison d’un important viticulteur, deux pianos, une pancarte avec prix et descriptif. Bienvenue au magasin. Un piano droit sera parfait pour un débutant, un demi-queue flattera un amateur. Dans l’ancienne salle à manger : six pianos au moins, tous accordés. Dans le double salon, encore des pianos, plus imposants et une grande pancarte « Steinway and sons, concessionnaire agréé ».

De Hambourg à Venise
Un titre qui a valu à GérIMG_0295 copieard Fauvin d’emmener en 2013 Thierry Fouquet, directeur de l’Opéra de Bordeaux, et le pianiste Bertrand Chamayou à Hambourg, siège de Steinway, pour choisir « le » piano de l’auditorium de Bordeaux. Un titre bien sérieux face à l’originalité du bonhomme, avec ses cheveux blancs en pointe, sa chemise à rayures orange et verte, ses lunettes uniques – un verre rond et l’autre carré – et ses formules lancées comme une tirade de Cyrano : « Mes collègues sont accordeurs, je suis sculpteur sonore » ou encore « J’ai une oreille relativement absolue et absolument relative ». Le tout assorti d’une bonne dose d’autodérision : « Dans le métier, y a une question de physique : faut pas être trop grand sinon on se casse le dos ! ».

« Il y a chez Gérard un aspect show-man revendiqué, ca fait partie du charme, s’amuse Bertrand Chamayou qui a rencontré l’accordeur il y a quinze ans, au festival Piano en Saintonge. Son exubérance n’est jamais égocentrique, trafiquée. C’est un authentique, une âme pure, dans son travail aussi. » Il suffit de traverser le jardin pour se rendre à l’atelier de restauration… et ouvrir des yeux d’effroi. La vue d’un piano dénudé, désossé, à qui on a enlevé les marteaux, les cordes et parfois les touches, peut évoquer le blIMG_0278 copieoc opératoire. Entre les mains des deux apprentis et d’un salarié du domaine, les quatre patients viennent de Venise, du palais Contarini–Polignac, où la Princesse de Polignac, grande mécène musicale, a reçu au début du XXe siècle les compositeurs Maurice Ravel, Darius Milhaud, Isaac Albéniz, et les pianistes Arthur Rubinstein, Clara Haskil, entre autres. « Dans le cadre de la réhabilitation du palais, quatre pianos devaient être restaurés, certains laissés à l’abandon depuis des dizaines d’années. La mécanique de l’un d’eux était complètement bloquée. Je me suis jeté dessus… », rigole Gérard Fauvin qui a remporté l’appel d’offre face à des concurrents allemands et italiens.

Chacun de ces pianos a une histoire : le portable Cramer fabriqué en 1896 a été installé sur une gondole pour que « Winny » – le surnom de la comtesse – puisse se divertir au clair de lune avec ses amis Reynaldo Hahn et Marcel Proust. Sur le Pleyel demi-queue, un bijou d’ébène et d’acajou, Francis Poulenc a joué le Concerto pour piano en sol de Ravel. Il sera remis sur pied selon les règles de « restauration historique », une formule inventée par Gérard Fauvin. Comprenez : rendre un piano jouable en respectant le plus possible les techniques et matériaux employés à l’époque… ce qui s’avère parfois un vrai travail d’équilibriste. « Quelles cordes choisir ?, lance le passionné. Faut-il réaliser des cordes à la manière d’autrefois ? Mais comment ? C’est comme si vous et moi essayions de tailler des silex ! ». Pour certains, la méthode Fauvin s’affranchit trop des règles communes de la restauration. « Il est très respectueux des traditions, explique Bertrand Chamayou (lui aussi passionné de vieux pianos), mais il reste anticonformiste. Il a un rapport ésotérique avec l’instrument : il parle d’énergie, de vibrations…. »

IMG_0229 copieUn piano, une vie
Fabienne, son épouse, trouve régulièrement des messages sur leur répondeur disant : « J’ai un vieux piano. Je ne m’en sers pas mais je ne veux pas qu’il meure. Prenez-le ! ». Récemment, Gérard a retrouvé une ancienne cliente dont il avait accordé le piano 25 ans auparavant. « Je vais en maison de retraite et je ne veux pas que le piano parte en salle des ventes. » Impossible de refuser ! « Je ne peux pas tirer un trait sur des vies, sur ces gens qui ont déchiffré des nouvelles partitions de Gabriel Fauré », explique Gérard avec émotion.

Parfois, le lien avec les grands compositeurs de la musique classique est plus direct : « Frédéric Chopin a travaillé sur ce piano, explique Gérard Fauvin devant un Pleyel plus que centenaire et pourtant brillant comme un sou neuf. L’instrument est mort plusieurs fois : quand je l’ai récupéré, il était agonisant et m’a demandé cent heures de travail. Un hiver pluvieux très humide a failli à nouveau lui être fatal… Puis la tempête de 1999 a fait s’écraser une grosse poutre du toit sur lui et 34 autres de mes pianos. ». En 2011, le vieux Pleyel a été joué à Gradignan au Théâtre des Quatre saisons.

« Un piano sur cent est bon à récupérer », explique Fabienne, qui veille à ce que les pianos n’envahissent pas toute la maison… Gérard en conserve plusieurs dizaines dans un hangar, l’un pour sa mécanique originale, l’autre pour ses pièces détachées. En 2014, ils se sont résolus à en jeter 63. Il ne reste au domaine de Pétignac « que » 200 pianos !

 

DATES CLES

1979 : diplômé de musicologie à 25 ans, il fait son apprentissage en Allemagne.
1986 : s’installe à Jurignac en Charente et création du « Domaine musical de Pétignac ».
2013 : s’envole en Allemagne avec le pianiste Bertrand Chamayou et Thierry Fouquet, directeur de l’Opéra de Bordeaux, pour choisir le Steinway du nouvel auditorium de Bordeaux.
2015 : le 28 janvier à 19h30, il donnera une conférence illustrée à l’institut Bernard Magrez à Bordeaux sur « Les secrets Steinway ». http://www.institut-bernard-magrez.com/

Article paru dans Sud Ouest Magazine du 28 décembre 2014. Merci à Céline Levain pour ces très belles photos.

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