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Daniel Barenboïm : « La musique est subversive »

INTERVIEW – Enfant prodige du piano, chef d’orchestre à la carrière époustouflante, artiste engagé : Daniel Barenboim, 74 ans est la personnalité la plus charismatique du monde de la musique classique. Il a un passeport argentin, espagnol, israélien et palestinien. Il donne à la Philharmonie de Paris un cycle de concerts à la tête de l’Orchestre de la Staatskapelle de Berlin. Chaque soir, les musiciens interprètent une symphonie du romantique allemand Anton Bruckner et un concerto de Mozart. 


Vous dirigez sur cette semaine 4 symphonies et 4 concertos dont vous êtes en plus le soliste. Un défi ?

S.B. Non je ne fais pas dans le défi ! L’idée était de faire une intégrale des symphonies de Bruckner à Paris mais il fallait trouver un autre compositeur pour compléter le programme. Si on pense en terme de langage musical, on aurait dû prendre Wagner mais je ne trouve pas cette association très intéressante car ces styles sont trop proches. Mozart apporte un contraste sonore avec Bruckner qui utilise un volume orchestral extraordinaire. Mozart est plus concentré.

Comment jugez-vous la Philharmonie ?
D.B : J’adore ! J’y suis venu au tout début avec le West-Eastern Divan Orchestra (l’orchestre composé de juifs et d’arabes qu’il a fondé en 1999, ndlr). Nous avons joué du Pierre Boulez. Puis je suis revenu avec la Staatskapelle de Berlin pour Wagner et Beethoven. Tout a sonné magnifiquement ! L’acoustique est très réussie. J’ai commencé à donner des concerts à Paris en 1955, j’ai joué dans toutes les salles de la capitale : Chaillot, Pleyel et même dans la faculté d’Assas ! C’est vraiment la première fois que Paris a une vraie salle dédiée à la musique classique.

2016-AduParc-Philharmonie-09214Pourquoi pensez-vous que les jeunes boudent la musique classique ?
D.B. Il y a zéro éducation musicale pour les enfants à l’école : pourquoi voulez-vous qu’ils viennent au concert. La culture a perdu sa place. Que nous prouve le Brexit ? Que l’Union européenne est un forum où l’on parle seulement d’argent. Qu’est-ce qui différencie notre continent de l’Amérique ou de l’Asie : notre culture. Si l’on ne donne pas aux jeunes une vraie éducation culturelle, il n’y a aucune raison qu’ils viennent écouter Bruckner dans 50 ans.

Vous avez lancé une chaine Youtube où vous parlez de musique. Est-ce pour toucher ces jeunes ?
C’est une idée de l’un de mes fils, qui est un musicien pop-electro. Il vit dans un autre monde musical, il a 33 ans. Il m’a dit : « les jeunes connaissent ton nom mais ne savent pas ce que tu fais ». J’ai été touché qu’il s’intéresse à son père (rires).

A quoi sert la musique ?
La musique est une arme à double tranchant : on peut utiliser la musique pour oublier nos soucis quotidiens. Un nocturne de Chopin vous fait oublier une journée difficile en deux minutes : pas mal ! Mais croyez vous que Beethoven, Bach, Debussy, Boulez ont écrit pour qu’on oublie nos petits problèmes ? Non ! La musique nous aide à comprendre pourquoi certaines choses ont un lien. C’est ca la culture mais ce mot culture a perdu de sa valeur… Si l’on ne préserve pas cette culture, on va devenir des peuples préoccupés uniquement d’économie et de sécurité. Or la culture est une arme essentielle pour lutter contre le terrorisme. Et la culture n’est pas discuter comment les gens doivent s’habiller quand ils vont nager. C’est ridicule ! Je comprends qu’on ne veille pas que quelqu’un se baigne nu sur une plage qui n’est pas nudiste mais si quelqu’un veut se baigner en bikini ou tout habillé, qu’est-ce que ca peut me faire ? Pourquoi en faire une discussion religieuse, intellectuelle ? C’est idiot.

En 2001 vous avez provoqué le scandale en jouant Wagner en Israël où sa musique était interdite. La musique est subversive ?
L’interdiction de jouer Wagner en Israël est uniquement une hypocrisie du gouvernement israélien. En 2001, j’ai été invité avec la Staatskapelle de Berlin à jouer Wagner au festival d’Israël. Les places ont été vendues en 15 minutes. Le ministère a menacé de couper les subventions du festival. J’ai retiré Wagner du programme mais j’ai proposé au public de le jouer en bis. Il a eu des protestations mais seulement dix personnes ont quitté la salle. Bien sûr, l’antisémitisme de Wagner est dégoûtant. Et je ne veux forcer personne à écouter Wagner mais Israël fait de la mémoire de l’Holocauste quelque chose d’épouvantable.

La subversion est organiquement liée à la musique. Dans une conversation, je parle, vous m’écoutez. Vous parlez, je vous écoute. En musique, plusieurs personnes parlent simultanément. Un musicien expose une mélodie, un point de vue. Un autre va commenter en direct ce point de vue : c’est le contrepoint. Le commentaire peut-être subversif, il ne cassera pas la musique, au contraire ! L’un va jouer un élément tragique et l’autre un accompagnement qui peut-être comique. La musique nous donne la possibilité d’unir les extrêmes.

Beaucoup de gens de votre âge ne rêvent de prendre leur retraite. Vous êtes toujours sur-actif. Vous n’avez pas envie d’aller à la pêche ?!
D.B. : Je préfère de beaucoup la musique à la pêche (rires). On ne se lasse jamais de la musique. Je joue certaines pièces depuis l’âge de sept ans. Les 500 fois que je les ai jouées sont toutes parties : le son est éphémère. J’en sais surement plus aujourd’hui sur ces œuvres mais je dois à chaque fois repartir de zéro, de la première note. C’est un élixir ! Pour cela, il faut une chose : s’ouvrir. En français, il y a deux mots : entendre et écouter. Il faut écouter la musique avant de l’entendre. Je ne vous parle pas de la musique de fond des restaurants bien sûr !

Si la musique est éphémère, pourquoi enregistrez-vous toujours des disques ?
D.B. : Ah c’est un vieux débat ! Glenn Gould a cessé de jouer en public pour ne faire que des enregistrements. Je l’admire beaucoup mais je n’ai jamais compris cette démarche. Il Y a dans le concert un état particulier, vivant, vital. A 20h37 commence une oeuvre qui dure 50 minutes environ. Vous ne pouvez pas arrêter les musiciens comme vous arrêtez le disque. Vous vous engagez, vous vous envolez de la première à la dernière note sans pouvoir descendre de ce vol. Vous êtes inexorablement liée à la musique.

Concerts les 9 et 10 septembre  2017 à la Philharmonie de Paris. 10 à 110 €. Philharmoniedeparis.fr 01 44 84 44 84.

 

Article paru en partie dans Le Parisien du samedi 3 septembre.

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