COMPTE-RENDU – Parmi les découvertes du festival Notes d’automne, on est tombé sur une véritable pépite. Jeudi 22 novembre, se jouait un concert-lecture inédit autour de la romance épistolaire peu connue entre Apollinaire et son premier amour : Madeleine Pagès. Un grand moment de poésie, de musique et d’histoire.
« Vivement que tu partes, pour que je puisse penser à toi » écrit Madeleine, après sa première rencontre avec le poète. Comme elle, le trouble, l’émotion, les palpitations sont si intenses, qu’on se surprend à vouloir hâtivement que cette lecture se termine pour que l’on puisse s’autoriser à en rêver.
Sur scène, ils sont quatre. C’est une première. Habituellement Pierre Jacquemont et Alexandrine Serre, récitent seuls mais ensemble, la relation épistolaire qu’ont entretenue Guillaume Apollinaire et sa « jolie fée » rencontrée dans le train, Madeleine. Mais cette fois, Pascal Amoyel et Emmanuelle Bertrand les accompagnent au piano et au violoncelle. C’est un quatuor atypique qui se présente alors au public, racontant au gré des lettres d’amour et des interludes musicales, l’histoire de deux âmes que l’amour des mots a réuni.
Pendant une heure et demie, on découvre un Guillaume Apollinaire transit d’amour mais rapidement rattrapé par l’horreur de la guerre. Les notes graves et profondes de Fauré (Après un rêve, Elégie pour violoncelle et piano) ou Chostakovitch (Allegro de la Sonate pour violoncelle et piano opus 40) traduisent au spectateur les frissons de l’enfer. Les glissandos déstructurés d’Emmanuelle Bertrand sur Britten (le mouvement Molto perpetuo de la Troisième suite pour violoncelle seul), qu’elle a choisi de faire sonner sur le violoncelle Le Poilu dont elle est héritière (voir ici notre article), font vibrer les démences de la guerre.
Accompagnée de Pascal Amoyel, Emmanuelle Bertrand reprend ensuite son violoncelle pour interpréter avec virtuosité les Pièces lyriques d’Edvard Grieg (Ariette, Petit oiseau, Pièce érotique, A tes pieds…) qui, initialement écrites pour piano seul, sont ici brillamment retranscrites pour les deux instruments par le coupe de musiciens. Quand Alexandrine Serre en vient à nous compter la balade en barque des jeunes amants, les notes de Pascal Amoyel sur le Clair de Lune de Debussy (qu’il jouait pour la première fois en concert!) et les vers ne font plus qu’un. Une alchimie dans laquelle le spectateur se plonge bien volontiers.
Et Madeleine ? Moins connue que sa « rivale » Lou, ne serait-ce finalement pas elle, la véritable découverte? Tapie dans l’ombre de la pudeur et de la discrétion, cette professeure de littérature est ici révélée par la comédienne Alexandrine Serre, époustouflante de justesse. Certains de ses textes, issus de son journal intime, étaient jusqu’en 2015 inconnus de tous, excepté de ses descendants. C’est grâce à la rencontre de l’un d’eux, Jean-Pierre Pagès, et de Pierre Jacquemont, qu’ils trouvent depuis 2015 plus qu’une deuxième jeunesse : un véritable réveil atemporel. « Madeleine et Apollinaire un amour en temps de guerre » est un virtuose mélange des genres qui fusionnent en un moment de poésie intense.
Concert-lecture donné le jeudi 22 novembre 2018, au festival Notes d’automne de Perreux-sur-Marne.
[youtube url= »https://www.youtube.com/watch?v=aSBCTGjzId4″ width= »760″ height= »660″]