AccueilInterpretesAnne Sylvestre (1934-2020) : "Je me bats pour les mots"

Anne Sylvestre (1934-2020) : « Je me bats pour les mots »

HOMMAGE – Pour saluer Anne Sylvestre, disparue dans la soirée du 30 novembre 2020, à l’âge de 86 ans des suites d’un AVC à Paris, nous partageons une interview réalisée en 2012.

INTERVIEW – Elle n’a plus l’âge de lire Tintin mais parcourt toujours la France en chantant : « Au plaisir » est le nom de son tour de chant. Avec cette voix si familière, accompagnée par un simple piano, elle dégomme avec des mots gentils la passion des hommes avec leur voiture, la fille trop amoureuse, la grand-mère dépressive, la tendre attente. La maman des « Fabulettes », cette grande féministe, a vu grandir des générations de petites filles et de petits garçons. Quel regard porte-t-elle sur la société ? Rencontre.

Votre récent album s’appelle « Parenthèses ». Pourquoi ce nom ?

A.S : Cet album n’est pas un recueil de chansons que j’avais mises entre parenthèses. Elles sont plus ou moins anciennes d’ailleurs, mais disons que certaines avaient été moins remarquées comme la « Rose de décembre » ou « Me voici donc ». J’ai envie de les chanter : je les chante ! Le tour de chant est dans le même esprit. Il s’intitule « Au plaisir » car je le fais simplement par plaisir.

Comment vivez vous votre féminisme ?

Je suis féministe, je suis née comme cela ! Mes convictions transparaissent principalement dans mes chansons, qui sont néanmoins bien plus que des supports à idées. Je mets beaucoup de choses dans les textes même si je ne suis pas une théoricienne. Je fais en sorte que chacun tire ses propres conclusions. On ne peut pas ne pas s’apercevoir qu’il y a des inégalités

Quel est votre principal motif de combat ?

La dignité. J’ai toujours été une ennemie de l’irrespect envers les femmes : celui que les autres leur infligent et celui qu’elles s’infligent. Ce qui me tient à cœur est cet irrespect au quotidien, dans les mots, ces petites phrases ou expressions méprisantes mais dont on dit « ce n’est pas méchant ». Je viens d’écrire tout récemment une chanson sur ce thème – elle a pour titre « Juste une femme » – que je chanterai à La Teste, presque pour la première fois.

L’affaire DSK – pendant laquelle des mots terribles ont été prononcés de tous les côtés – vous a-t-elle marquée ?

Vous savez, même avant cette « affaire », on savait qu’il y avait des hommes aux mains baladeuses… on n’a pas attendu ce monsieur. Certains propos ont été effectivement insupportables. Voilà pourquoi la chanson est pertinente : on peut toucher une réalité en racontant l’histoire de quelqu’un, effleurer l’essentiel sans avoir besoin de la théorie. Je me bas pour les mots et pour la façon dont on traite les gens.

Les petites filles de la génération « Fabulettes », aujourd’hui devenues femmes, vous paraissent-elles concernées par la question du féminisme ?

Il y a une partie d’entre elles qui ont largement profité des avancées du féminisme et une autre qui, à présent, relève la tête et dit « comment on fait ? »… car elles souffrent des inégalités comme les générations précédentes. Dans le milieu musical par exemple : je constate que les techniciens sont en majorité des hommes alors qu’il ne faut pas une force physique particulière… comme si une femme ne pouvait pas tourner des boutons.

Du côté des interprètes, les femmes sont pourtant bien représentées, non ?

Oui mais l’on voit encore souvent sur scène quatre musiciens pour une musicienne ! C’est la même chose qu’à notre époque : Barbara et moi étions des phénomènes à côté des Brassens et compagnie.

Certains moments de cette époque sont devenus absolument mythiques aujourd’hui, comme ce duo entre vous et Bobby Lapointe… Quel souvenir en gardez-vous ?

C’était drôle mais ca ne mérite pas tout ce qu’on en fait aujourd’hui ! C’était la mode d’écrire des duos. Quand on m’en a commandé un, j’ai cherché un copain pour chanter avec moi cette histoire d’une fille qui rêve de son prince charmant. Bobby était tellement drôle. Le résultat est effectivement inoubliable. Les techniciens se roulaient par terre. Cela lui aurait fait plaisir cette reconnaissance… qui lui a tant manqué à l’époque.

L’aventure des Fabulettes est-elle terminée pour vous ?

Peut-être pas. J’ai écrit dix-huit albums et cela a été un grand plaisir. Ils ont été ma bouée de sauvetage à certains moments de ma carrière, car j’étais productrice des disques. Je ne les ai jamais chantés sur scène car je n’avais pas envie de me produire face à des enfants. Si j’avais accepté à l’époque – et aux moments où j’en avais financièrement besoin – je n’aurais plus fait que cela. Je tenais à mon répertoire adulte. Au final, je me suis préparé un public avec les Fabulettes. Ces générations d’enfants devenus grands sont mon public actuel. Ils viennent me voir car je leur rappelle une enfance enchantée, pleine d’imaginaire. Je suis un peu leur doudou ! J’ose à peine répéter les gentilles phrases qu’ils me disent tellement elles sont élogieuses. A travers ces chansons, j’ai transmis mes valeurs à ces enfants. De ce que j’en vois, ca a fait de beaux adultes.

Paru dans Sud Ouest du Dimanche 26 février 2012.

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