COMPTE-RENDU – Privé de Dame de pique, l’Orchestre de l’Opéra de Paris a donné, mercredi 9 juin, un magnifique concert dédié à Tchaïkovski. Mention spéciale pour la reine de la soirée, la soprano lithuanienne Asmik Grigorian, entourée d’autres grandes voix, sous la baguette de la cheffe Oksana Lyniv.
La crise sanitaire a totalement chamboulé la saison lyrique de l’Opéra de Paris. En témoigne ce concert Tchaïkovski donné à Bastille en lieu et place d’une nouvelle production de La Dame de Pique de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893), qui devait être mis en scène par Dmitri Tcherniakov et dirigé par Daniel Barenboïm, en alternance avec Oksana Lyniv.
De cette production mort-née, il ne reste qu’un concert pot-pourri de musiques du compositeur russe avec Lyniv, la soprano Asmik Grigorian et le baryton Etienne Dupuis.
Les spectatrices et spectateurs présents mercredi soir dans l’immense salle de l’opéra Bastille ont pu apprécier la quintessence de la musique de Tchaïkovski en tout juste deux heures, avec des extraits des opéras Eugène Onéguine (1879), Iolanta (1892) et La Dame de pique (1890), ainsi que la Marche slave (1876). On pourrait émettre une réserve sur le choix de cette marche, qui dénote dans cette soirée aux accents lyriques et dramatiques.
À choisir, on aurait sans doute préféré entendre l’ouverture-fantaisie Roméo et Juliette (1869), dont le romantisme ardent aurait été plus en accord avec les autres œuvres au programme.
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Asmik Grigorian, reine de la soirée
La reine de la soirée est incontestablement la soprano lituanienne Asmik Grigorian, qui incarne successivement Tatiana, Iolanta et Lisa avec un engagement total, une grande intensité dramatique et une voix ample, claire et lumineuse. Sa voix saisit d’emblée par sa puissance, et sa prononciation parfaite du russe permet de saisir chaque nuance, chaque inflexion du texte, qu’elle sert en pure tragédienne.

Le reste de la distribution séduit également. Le baryton canadien Etienne Dupuis impressionne vocalement, grâce à l’élégance de sa ligne de chant, son timbre rayonnant et clair, et sa diction très soignée du russe. Il séduit aussi dramatiquement par l’intensité de son interprétation d’Onéguine et du Prince Yeletski.
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La mezzo-soprano arménienne Varduhi Abrahamyan livre une belle prestation de Pauline dans La Dame de pique, avec des graves généreux et âpres, renforcée par une présence charismatique sur scène. Le jeune ténor russe Ivan Gyngazov, quant à lui, fait des débuts en mi-teinte à l’Opéra de Paris : s’il a des aigus puissants et rayonnants, ses limites dans les registres graves rendent sa prestation partiellement audible.

Oksana Lyniv sait mettre en valeur les timbres de l’orchestre et veille aux équilibres des pupitres, notamment pour faire ressortir les contre-champs de la petite harmonie, si importants dans la musique de Tchaïkovski.
Une cheffe aux débuts prometteurs
L’avenir de la cheffe d’orchestre Oksana Lyniv – la première à être invitée par le festival de Bayreuth, où elle dirigera le Vaisseau fantôme cet été – semble prometteur. Sa direction d’orchestre, élégante, ferme, et sans effets, n’est pas sans évoquer ce que disait dans un entretien à ResMusica le grand chef russe Dmitri Kitaenko à propos de la musique de Tchaïkovski : « [Elle] a souffert et souffre encore, en Europe et même en Russie, de trop de sentimentalisme, de rubato excessif et de ritardando…. Un chef peut facilement faire de mauvais choix et tourner Tchaïkovski en une sorte de confiture, quelque chose de doux et geignard. […] Pour Tchaïkovski, il faut veiller à « corseter ». »
C’est ce qu’a bien compris Lyniv, qui dirige Tchaïkovski avec beaucoup de retenue, voire même une certaine froideur. Elle sait mettre en valeur les timbres de l’orchestre et veille aux équilibres des pupitres, notamment pour faire ressortir les contre-champs de la petite harmonie, si importants dans la musique de Tchaïkovski.
