COMPTE-RENDU – Sur la Côte d’Opale, le château d’Hardelot est un écrin idyllique pour célébrer le retour de la vie musicale. Lors des deux week-end du Midsummer festival en juin et juillet, son directeur artistique, Sébastien Mahieuxe, a invité des artistes d’horizons divers. Ils se réunissent dans la volonté de libérer la musique classique des carcans dans laquelle certains l’enferment parfois. Et lors du second week-end, la soprano Véronique Gens a brillé de mille étoiles.

Avec son architecture néo-Tudor et l’Union Jack qui flotte fièrement au sommet, le château d’Hardelot est un endroit unique d’échange et de partage à la croisée des chemins entre la France et l’Angleterre. C’est à l’initiative du Conseil départemental du Pas-de-Calais, propriétaire du lieu, qu’est organisé depuis douze ans un festival de musique pour célébrer le retour de l’été.
Cette nouvelle saison estivale d’Hardelot est placée sous le signe du déconfinement et du dialogue : Sébastien Mahieuxe a souhaité mettre à l’honneur des artistes qui ont à cœur de décloisonner la musique classique à d’autres genres musicaux, d’autres répertoires et à d’autres publics que celui des concerts traditionnels.
lire également : « Rosemary Standley : « Le classique me fascine » »
Schubert revisité
Samedi, le temps était gris et pluvieux. D’abord prévu en plein air, le concert Schubert in Love a dû être déménagé en urgence dans le pittoresque théâtre élisabéthain du fait des aléas climatiques.
Avec son architecture circulaire en bois exotique, ce théâtre élisabethain offre un cocon chaleureux et intimiste idéal pour suivre la chanteuse Rosemary Standley et les musiciens de l’Ensemble Contraste dans leur errance mélancolique et poétique. Leur programme Schubert in Love, dont l’enregistrement est sorti à l’automne 2020, transporte dans un voyage musical romantique aux accents folk et jazz.
Grâce aux subtils arrangements de Johan Fargot, les matériaux thématiques, les rythmes et les caractères des lieds et pièces instrumentales de Schubert interprétés ici sont respectés et permettent aux mélomanes avertis comme aux néophytes, de (re)découvrir l’œuvre du compositeur allemand sous une lumière différente.

Selon Rosemary Standley, « il y a quelque chose chez Schubert de très direct émotionnellement », ainsi qu’une inspiration populaire, qui rend cette musique non seulement immédiatement accessible aux spectateurs et spectatrices, mais aussi proche de l’univers de la musique traditionnelle américaine, dont elle vient.
LIRE ÉGALEMENT : « Disque : Matthias Goerne et Joyce DiDonato chamboulent les genres »
La chanteuse allie une présence charismatique, un timbre unique et une grande sensibilité. Le fait que son allemand ne soit pas idiomatique n’est pas un frein à la compréhension du texte, qu’elle interprète avec force et conviction, bénéficiant en outre d’un accompagnement magnifique de Johan Farjot au piano, Arnaud Thorette à l’alto, Laure Sanchez à la contre-basse, François Aria à la guitare, et Jean-Luc Di Fraya aux percussions.

Loto lyrique déjanté
Le dimanche, changement total d’ambiance. Sous un soleil resplendissant, les trois chanteurs du Trio Musica Humana nous ont emportés dans un tourbillon lyrique délirant pendant presque deux heures de concert, qui filent comme un éclair, tant on rit et l’on va de digressions en surprises.
Tout commence comme un concert classique avec le baryton Igor Bouin, le ténor Martial Pauliat et le contre-ténor Yann Rolland, qui chantent, tout habillés en noir, Puis qu’en oubli, un chant polyphonique de Guillaume de Machaut (1300-1377).
Puis soudain, tout déraille, et au lieu d’un « magnifique florilège de polyphonies de la Renaissance », les trois chanteurs et le “4e personnage du spectacle, le Juno 6, un synthétiseur des années 80”, entraînent dans une partie de loto lyrique, déjanté et plein de rebondissements.

Avec la mise en scène drôle, tendre et décalée de Corinne Benizio – la Shirley du duo Shirley et Dino – le Trio Musica Humana a construit pendant les deux confinements un vrai spectacle de music hall, un « exercice très nouveau » pour les chanteurs, où ils improvisent et interagissent avec le public. De Purcell à Claude François, en passant par Bobby La Pointe et le compositeur de la Renaissance Clément Janequin.
Véronique Gens, reine des nuits du Midsummer festival
Festival pluvieux, festival heureux ? Pour le deuxième week-end du Midsummer festival, le beau temps n’était pas au rendez-vous sur la Côte d’Opale. Mais dans l’écrin de bois du théâtre Élisabéthain, Véronique Gens et les musiciens de l’ensemble I Giardini étaient protégés des tracas de la météo. Nimbés dans un subtil éclairage évoquant la Nuit étoilée de Vincent Van Gogh, la soprano et le quintette de musiciens nous ont entraînés dans un voyage au bout de la nuit.

Fidèles au programme de leur album « Nuits », Véronique Gens et I Giardini ont offert un superbe florilège de mélodies et œuvres instrumentales de la Belle Époque. La diction exemplaire et l’intelligence musicale de Gens ont sublimé les mélodies de Massenet, Fauré, Lekeu, et leurs contemporains. Seule ombre au tableau un problème d’équilibre entre la voix et les instruments. Les musiciens d’I Giardini jouaient avec un grand engagement, mais trop fort, avec un manque de contraste et de nuances, et couvraient la voix de la soprano à certains moments.

Pour clôturer cette édition du Midsummer festival, direction Versailles et la cour de Louis XIV pour une soirée consacrée aux grandes tragédiennes de l’époque : mademoiselle Saint-Christophe et Marie Le Rochois. Véronique Gens s’est montrée leur digne héritière, incarnant à la perfection les grands rôles tragiques des opéras de Lully et ses contemporains. Elle était magnifiquement accompagnée par Les Surprises, dans un effectif réduit pour tenir sur scène, et Louis-Noël Bestion de Camboulas. Ce dernier a pris plusieurs fois la parole pendant la soirée pour expliquer avec verve et enthousiasme l’esprit de ce programme somptueux, dont l’enregistrement sera publié à la fois du mois d’août chez le label Alpha.

Après de si beaux concerts, on a qu’une envie : revenir au château d’Hardelot pour la saison hivernale du festival.