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Weinberg : Composer sous l’ombre de Staline

DISQUE – Après un premier enregistrement paru en 2019, à l’occasion du centenaire de la naissance de Mieczysław Weinberg, Mirga Gražinytė-Tyla continue son exploration de l’oeuvre orchestrale du compositeur polonais avec le concerto pour flûte n°1 et les symphonies n°3 et n°7.

Sur les chemins de l’exil

La vie de Mieczysław Weinberg (1919-1996) illustre le déchaînement de violences politiques qui ont traumatisé le XXe siècle. Au cours de son existence, il a subi les persécutions antisémites des nazis et des soviétiques. Il a connu l’exil, la surveillance, la prison. Né en 1919 en Pologne dans une famille de musiciens juifs, il est le seul de sa famille qui parvint à fuir l’invasion de son pays par Hitler. Alors qu’il trouve refuge en Union Soviétique, ses parents et sa sœur sont arrêtés, puis exterminés dans les camps nazis. 

D’abord installé à Minsk, il prend la nationalité soviétique sous le nom de Moisei Vainberg (ou Vajnberg). Il commence des études de composition au conservatoire de la ville, mais en 1941 l’invasion de l’URSS par l’armée allemande le force à fuir de nouveau. Il s’installe alors à Tachkent, où de nombreux musiciens et compositeurs ont fui l’avance de l’armée allemande. Weinberg y rencontre Dmitri Chostakovitch, qui sera un ami proche et le premier défenseur de son œuvre jusqu’à sa mort. 

Dmitri Chostakovitch et Mieczysław Weinberg – Source : https://interlude.hk/

Chez Weinberg, la foi en l’humanité a survécu aux persécutions et à l’horreur.

Dans la tourmente de la terreur stalinienne

Une fois la Seconde Guerre Mondiale terminée se développe en Union Soviétique un antisémitisme et antijudaïsme d’Etat. Staline ordonne des arrestations massives parmi les élites politiques et culturelles. En janvier 1948, le beau-père de Weinberg, Solomon Mikhoels, directeur artistique du Théâtre Juif d’État de Moscou, est assassiné à Minsk sur ordre de Staline. Weinberg lui-même est mis sous surveillance par la police politique. En février 1953, il est arrêté pour « nationalisme bourgeois juif » en lien avec le « complot des blouses blanches ». Les tentatives de Chostakovitch pour le faire libérer ne font rien. Seule la mort de Staline mettra fin à ces mois de détention.

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Les aléas de la popularité

Une période de créativité intense s’ouvre alors. Son œuvre est largement jouée et popularisée, notamment grâce à des musiciens célèbres, Rostropovitch en tête. Mais dans les années 70 et 80, la disparition de Chostakovitch, puis le départ vers l’Ouest de Kondrachine, Barshai, et Rostropovitch lui font perdre des alliés précieux. En Occident l’intérêt se porte sur les expérimentations de Gubaïdulina, Schnittke, ou Silvestrov. La musique de Weinberg tombe alors dans l’oubli.

Depuis la fin des années 90, l’œuvre de Weinberg suscite de nouveau l’intérêt des musiciens. Elle est désormais régulièrement jouée et enregistrée. Après le Quatuor Danel et Gidon Kremer, c’est désormais au tour de Mirga Gražinytė-Tyla de reprendre le flambeau et de défendre l’immense répertoire de Weinberg. Dans ce deuxième disque consacré au compositeur, elle explore des œuvres composées à la fin des années 50 et au début des années 60.

Une musique qui résiste à la noirceur

On y retrouve le style très personnel de Weinberg. Sa musique emprunte aussi bien aux formes traditionnelles que contemporaines. Elle combine un langage librement tonal avec une inspiration puisée dans la musique folklorique juive, polonaise, biélorusse, et russe. Si sa musique a souvent été comparée à celle de Chostakovitch, par son emploi de l’ironie et du sarcasme, elle reste bien plus optimiste et moins aride que celle de son ami. Chez Weinberg, la foi en l’humanité et une certaine joie de vivre ont survécu aux persécutions et à l’horreur.

Un programme poétique et varié

Des trois œuvres du présent enregistrement, le concerto pour flûte n°1 (1961) est sans doute la plus accessible. C’est une œuvre légère, mais ambiguë. Tour à tour joyeuse, mélancolique et inquiète. La flûte semble voler tel un oiseau dans un paysage sombre et angoissé dessiné par les cordes. Une brume qui finit par la rattraper et assombrit son chant.

La symphonie n°7 pour clavecin et cordes (1964) est une œuvre unique, une version moderne et dissonante du concerto grosso baroque. Les premières mesures au clavecin plongent l’auditeur dans une grande mélancolie, qui tourne vite à l’inquiétude, puis à l’angoisse avec l’arrivée des cordes. Au fil des mouvements, qui s’enchaînent sans pause, le sentiment d’anxiété ne fait que grandir, au point d’en devenir oppressant.

Composer avec la censure

D’abord acceptée par les autorités, la symphonie n°3 (1949-1959) fut l’objet de critiques de l’Union des Compositeurs Soviétiques. Une entrave qui conduisit Weinberg à reporter sa création et à la remanier, avant de l’abandonner pendant plusieurs années, puis de la réécrire en profondeur. Dans cette symphonie, Weinberg essaie de respecter les demandes de la doctrine officielle du réalisme socialiste de composer une musique optimiste dans un langage clair et accessible à tous. Refusant d’abandonner son intégrité artistique, il compose une œuvre en demi-teinte. Elle est la fois légère et doucement mélancolique, mais traversée d’éclairs de violence, qui évoquent la brutalité du régime soviétique.

Pour faire revivre cette musique encore peu enregistrée, Mirga Gražinytė-Tyla s’est entourée de deux magnifiques solistes, Kirill Gerstein au clavecin et Marie-Christine Zupancic à la flûte, et de deux excellents orchestres, le Deutsche Kammerphilharmonie Bremen pour la Symphonie n°7, et le City of Birmingham Symphony Orchestra pour le reste du programme. L’interprétation vibrante, poétique et puissante qu’ils donnent de ces œuvres, ainsi que la qualité de la prise de son, font de ce disque une version de référence à écouter et réecouter.

Weinberg, Symphonies n°3 et 7 et concerto pour flûte n°1 par Mirga Gražinytė-Tyla, paru le 16 septembre chez Deutsche Grammophon

C’est pour qui ?
  • Celles et ceux qui ne connaissent de la musique soviétique que Chostakovitch et Prokofiev et sont curieux de découvrir la musique d’un de leur contemporains
  • Les passionnés d’histoire qui pourront se plonger en musique dans les pages les plus troublées de l’histoire du XXe siècle
  • Pour découvrir la brillante jeune cheffe lituanienne Mirga Gražinytė-Tyla, une des étoiles montantes de la direction d’orchestre
Pourquoi on aime ?
  • Parce que la musique de Weinberg est d’une grande expressivité et d’une incroyable richesse émotionnelle
  • Pour la beauté et l’intensité de l’interprétation 
  • Parce qu’à une époque où l’Europe orientale est de nouveau marquée par la guerre et la répression politique, la musique de Weinberg vient nous rappeler le passé tragique et complexe de cette région
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