CONCERT – Dix années, ni plus ni moins, c’est ce qu’il fallut à l’Arpeggiata –ensemble fondé par Christina Pluhar– flanquée de son cher acolyte Philippe Jaroussky, pour remonter sur les planches du Carnegie Hall. Ainsi, une décennie plus tard, le public New Yorkais retrouvait vendredi dernier, (presque) sans une ride, cet ensemble unique.
Depuis sa création en 2000, l’Arpegiatta saisit à bras le corps le répertoire d’un premier baroque souvent négligé, et le sublime en un programme sans âge malgré les quelques quatre siècles qui nous en sépare, érudit sans jamais être pontife, fantaisiste et grave, profond sans en avoir l’air…
Voûtes et volutes
L’instrumentarium était présent également, souvenir d’une tradition musicale qui ne vit plus que par les hommages qu’on lui rend. Le luth, sous le toucher féerique de Christina Pluhar, était magistral. Par son implacable régularité et sa rythmique sostenuto, il définit l’espace dans lequel s’enroule et se déroule les plus lyriques volutes mélodiques.
Accompagné de la harpe, les cordes pincées de cet ensemble jalonnent le territoire, rythmique et harmonique, au sein duquel s’entretiennent les solistes qui tour à tour s’interrompent, se répondent, se contredisent ou s’accordent, en un jeu de contrepoint si finement orchestré, qu’on n’en discerne aucun des rouages. Le violon et le cornet à bouquin se font écho ou s’entrelacent en de joyeuses joutes mélodiques que les percussions viennent tantôt étayer, tantôt désavouer.
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Jaroussky forever
C’est sur fond de ce galimatias parfaitement ordonné que se déploie la voix, la si belle voix de Philippe Jaroussky qui nous chante diaphane, agile et pourtant charnue, l’élégie de quelques bergers amoureux, les plaisirs impies de marins de passage, ou bien encore un dialogue sourd entre les hôtes, comblés ou misérables, du paradis et de l’enfer (voir vidéo ci-dessous pour une version fidèle). On pense déceler dans son timbre de soie de nouvelles inflexions, plus sages et plus mûres, qui ne s’entendaient pas autrefois. La voix n’est en que plus tendre et d’autant plus émouvante, ce qui n’échappa pas au public New Yorkais, qui fit l’honneur à Jaroussky et ses compagnons, d’une standing ovation de plusieurs minutes.
Ce vendredi, l’Arpeggiata et Philippe Jaroussky firent leur, et nôtre, la phrase de Cioran : « point de musique véritable qui nous fasse palper le temps ». En plaçant l’improvisation au coeur de leur interprétation, ces artistes parvinrent à communier, le temps d’un concert au Carnegie Hall, l’époque figée de cette musique séculaire avec l’instant immédiat de sa création.
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