Hommage vibrant à trois compositeurs afro-américains

DISQUE – Le chef d’orchestre Kellen Gray et le Royal National Scottish Orchestra nous présentent dans un superbe album trois compositeurs afro-américains majeurs de l’histoire du XX^e siècle : William Grant Still, William Levi Dawson et George Walker.  

L’histoire de la musique classique américaine est l’histoire d’une rencontre manquée entre la tradition européenne et les musiques populaires et folkloriques américaines, qu’elles soient amérindiennes ou afro-américaines. Malgré la prophétie du compositeur tchèque Anton Dvorak que “l’avenir de la musique de ce pays s’appuiera sur ce que l’on appelle les mélodies noires”, le racisme, les discriminations, et la ségrégation culturelle ont mis d’immenses obstacles à l’émergence d’une tradition musicale classique qui embrasse pleinement l’extraordinaire richesse mélodique et rythmique des musiques populaires et folkloriques afro-américaines. Car, même si des compositeurs et compositrices afro-américains ont montré la voie d’une musique classique qui serait ancrée dans le territoire, et si quelques compositeurs blancs comme George Gershwin s’en sont inspirés, en fin de compte ces efforts ont été marginalisés, voire ignorés.

Histoire d’une Renaissance

Depuis quelques années, la prise de conscience de cette invisibilisation du répertoire classique afro-américain a permis la redécouverte d’œuvres longtemps oubliées au disque et dans les salles de concert. Avec l’album “African American Voices” (« Voix Afro-Américaines ») le chef d’orchestre américain Kellen Gray et les musiciens du Royal Scottish National Orchestra nous font voyager dans les œuvres de trois grands compositeurs du XX^e siècle : William Grant Still, Williams Levi Dawson et George Walker.

Wiliam Grant Still : le doyen

Surnommé le “doyen” de la musique afro-américaine classique, William Grant Still (1895-1978) est représentatif du mouvement culturel de la Harlem Renaissance, qui dans les années 1920 et 1930 a vu l’émergence de toute une génération d’artistes afro-américain revendiquant une identité afro-américaine distincte, fière et visible. Décrite par le poète Langston Hughes comme « l’expression de notre moi individuel à la peau noire », la Harlem Renaissance inspira un renouveau de l’identité, de la culture et de la conscience sociale des afro-américains ainsi qu’à une nouvelle énergie dans l’activisme politique. Ce fut un moment fondateur qui ouvrit la voie au mouvement des droits civiques des années 1950 et 1960.

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Dans sa Symphonie n°1 « Afro-Américaine » (1930), Grant Still a utilisé des thèmes et techniques du blues, des spirituals, et de danses noires du XIXe siècle, comme l’explique Gayle Murchison dans le livret du disque. On peut notamment reconnaître le thème d’une danse juba aussi utilisée par George Gershwin dans la chanson “I Got Rythm”. Cette symphonie est très séduisante par la beauté des mélodies utilisées et par ses rythmes lancinants et entraînants. Elle est aussi profondément émouvante, chaque mouvement évoquant une émotion différente : le désir, la tristesse, l’humour et l’aspiration.

Wiliam Levi Dawson : l’engagé

Accueillie avec beaucoup d’enthousiasme lors de sa création par Leopold Stokowski et l’Orchestre de Philadelphie, la Negro Folk Symphony (1934) de William Levi Dawson (1899-1990) utilise les formes traditionnelles de la musique classique européenne qu’il fusionne avec des thèmes et des rythmes de la musique noire américaine (spirituals, danses juba). C’est aussi une œuvre typique de la Harlem Renaissance, dans laquelle Dawson nous fait traverser trois siècles de l’histoire des afro-américains, depuis l’arrivée en Amérique des premiers esclaves dans les colonies américaines jusqu’au début du XX^e siècle. C’est une symphonie d’une grande puissance expressive, qui mêle la joie et la mélancolie, la mémoire de l’oppression et l’espoir d’une vie meilleure.

George Walker : l’héritier

Cette année nous célébrons le centenaire de la naissance de George Walker (1922-2018), l’occasion de plusieurs sorties discographiques en dehors de celle-ci. Premier compositeur afro-américain à avoir reçu le prestigieux prix Pullitzer, George Walker appartient à la génération suivante. Lyric for Strings (1946) est une courte œuvre de jeunesse, dédiée à sa grand-mère, une ancienne esclave dont il était très proche et qui venait de mourir. Dans cette courte pièce pour orchestre à cordes, la présence d’idiomes afro-américains est moins clairement perceptible, mais la maîtrise du contrepoint, la beauté mélodique et harmonique, ainsi que la profonde mélancolie de la musique en font une pièce remarquable et touchante. 

De leur vivant, Grant Still, Dawson et Walker ont surmonté les obstacles du racisme et des discriminations pour faire reconnaître la qualité esthétique de leur musique par les critiques, les musiciens et le public. Ils ont ouvert la voie à des générations de compositeurs et compositrices afro-américains, et ont montré comment la musique classique pouvait incorporer les mélodies, rythmes et techniques des musiques populaires et folkloriques afro-américaines pour créer une tradition musicale classique pleinement ancrée dans l’histoire et le territoire des États-Unis. 

African American Voices est paru le 28 octobre chez Out there music

C’est pour qui ?

• Pour celles et ceux qui souhaitent découvrir le répertoire afro-américain
• Pour tous les amoureux de grandes symphonies inspirées par la musique populaire et folklorique

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Pourquoi on aime ?

• Pour la beauté mélodique, harmonique et rythmique de la musique de William Grant Still, William Levi Dawson, et George Walker
• Pour l’interprétation brillante et chatoyante de Kellen Gray et le Royal Scottish National Orchestra