COMPTE-RENDU – Avec évidence et talent, la soprano Véronique Gens endosse en ce moment le costume de l’enchanteresse Armide, sur le plateau de l’Opéra Comique, dans l’opéra de Gluck.
1099, 1581, 1686 et 1777…
C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. Le compositeur bavarois Christoph Willibald Gluck, favori de la Reine Marie-Antoinette, en savait quelque chose, lui qui proposa une deuxième version du livret de l’opéra Armide, de Quinault, déjà mis en musique, 91 ans auparavant, par Jean-Baptiste Lully. La machine à remonter le temps ne s’arrête pas là, Quinault s’étant lui-même inspiré de La Jérusalem délivrée (La Gerusalemme liberata) du Tasse (il Tasso), un poème épique de 1581.
Ce poème, en stances régulières de huit vers, groupées en vingt chants de longueur variable, relate, de manière fortement fictive et avec de nombreux éléments fantastiques, la Première croisade, au cours de laquelle les chevaliers chrétiens, menés par Godefroy de Bouillon, combattirent les Sarrasins, afin de lever le siège de Jérusalem en 1099. L’expression des sentiments, et non le lyrisme du poème, fait de la Jérusalem délivrée un chef-d’œuvre immortel.
Ne la laisse pas tomber…
Ainsi, non contente de capturer les chevaliers chrétiens, l’enchanteresse Armide les captive également par ses charmes, telle la Circée d’Ulysse. Ce n’est pas seulement la Jérusalem qui est libérée, c’est aussi la femme ! Et voilà, contre toute attente, que l’impériale magicienne s’éprend du chevalier Renaud, le plus vaillant de tous, perdant de ce fait tous ses moyens magiques et demeurant (é)perdue et désemparée.
Gluck a recentré le sujet de son opéra sur ce conflit intérieur d’Armide, et sa musique, qui sait fondre, dans un même élan expressif, la déclamation, le chant, l’orchestre, la danse et le mouvement scénique, sans être révolutionnaire dans le style, restitue avec justesse les tortures que l’amour inflige à la magicienne dominatrice. L’écriture vocale, pour les solistes comme pour le choeur, est fluide et naturelle, et met, encore une fois, en valeur la richesse psychologique du personnage d’Armide.
Une Véronique Gens impériale
Encore faut-il, pour endosser ce costume de femme guerrière troublée par l’amour, une voix et une personnalité à la hauteur. C’est le cas avec la soprano Véronique Gens. Sans forcer, elle domine l’ouvrage, à la fois sensuelle et sûre d’elle, tant vocalement que scéniquement.
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Le choeur Les Eléments est lui aussi parfaitement ajusté et les tableaux d’ensemble sont parfois très beaux, notamment grâce aux lumières de Laurent Castaingt. On peut malgré tout déplorer une mise en scène parfois languissante -pourquoi ne pas utiliser la totalité du plateau de l’Opéra Comique ?- et un manque de subtilité de nuances de la part de l’orchestre Les Talens lyriques, qui couvre trop souvent les solistes.
Le ténor anglais Ian Bostridge campe un chevalier Renaud nonchalant et dégingandé, tel Johnny Depp dans Pirate des Caraïbes. Ca fonctionne plutôt bien, même si ce maniérisme assumé se ressent un peu trop dans son expression vocale. Les autres solistes sont impeccables -notamment Anaïk Morel, qui incarne la Haine- et le tout fonctionne bien.
On en ressort simplement avec l’envie d’assister à une représentation du combat de Tancrède et Clorinde (Il combattimento di Tancredi e Clorinda), de Claudio Monteverdi, composé en 1624, lui aussi tiré de La Jérusalem libérée, dont le sensuel, le glamour et le poétique n’ont rien à envier à un bon film d’Alfred Hitchcock ou David Lynch…
Armide de C.W. Glück se poursuit jusqu’au 15 novembre à l’Opéra Comique de Paris.
