AccueilA la UnePiotr Anderszewski à la Philharmonie de Paris : une échappée poétique et...

Piotr Anderszewski à la Philharmonie de Paris : une échappée poétique et émouvante

COMPTE-RENDU – Le pianiste polonais Piotr Anderszewski était de retour à la Philharmonie de Paris, mardi 22 novembre, pour un récital exceptionnel, consacré à Bach, Beethoven et Webern.

Piotr Anderszewski est un musicien à part dans le paysage musical. Depuis ses débuts fracassants lorsqu’il quitta en 1990 le Concours International de Piano de Leeds en plein milieu de la demi-finale, il a construit une carrière faite de fulgurances et de périodes de silences. Secret, fantasque, rigoureux et totalement insaisissable, le pianiste polonais aborde l’art du piano en musicien et poète, et non en virtuose ou technicien.

Le programme du récital qu’il nous a proposé mardi dernier était d’un grand classicisme, avec des extraits du Second livre du Clavier Bien Tempéré de Johann Sebastian Bach (1685-1750), les Variations opus 27 d’Anton Webern (1883-1945) et la Sonate n°31 opus 110 de Ludwig van Beethoven (1770-1827). Mais à ces trois œuvres phares du répertoire pianistiques, maintes fois jouées et enregistrées, Anderszewski sait apporter toute sa singularité pour en donner une vision bien à lui et renouveler l’écoute des spectateurs et spectatrices.

Le sens du drame dans Bach

Dans le Second Livre du Clavier Bien Tempéré, au lieu de jouer tous les préludes et fugues dans leur ordre de composition, il en joue une sélection organisée par “sa propre subjectivité”. Comme il l’explique dans le livret de son enregistrement, paru en 2021, il a choisi de les faire dialoguer, “parfois en fonction de relations tonales qui fonctionnent naturellement les unes avec les autres, d’autres fois en fonction de contrastes qui semblent attirer irrésistiblement les morceaux les uns vers les autres”. Car ce que cherche dans ces oeuvres, Anderszewski, c’est le “sens du drame”.

Or, pour parvenir à faire vivre  aux spectatrices et spectateurs le drame intime de cette musique, Anderszewski dispose de moyens pianistiques exceptionnels et d’une immense sensibilité poétique. Notamment un toucher extraordinaire, qui lui permet de donner des couleurs, du relief et une profondeur au son. Et puis l’intelligence musicale, cette capacité à raconter une histoire et faire ressentir la vie foisonnante et complexe de cette musique. Et enfin une inventivité et une fraîcheur qui donnent l’impression que, même si tout est très construit et pensé, la musique coule naturellement et spontanément. Le résultat est un Bach très vivant, plein d’émotions, tantôt joyeux, chantant et dansant, tantôt mélancolique et sombre, tantôt plus austère et hiératique.

Parenthèse moderniste

Entre les œuvres monumentales de Bach et de Beethoven, Anderszewski livre une interprétation saisissante des Variations opus 27 de Webern, l’œuvre qui le conduisit à claquer la porte du concours de Leeds il y a plus de trente ans. Dans cette courte pièce en trois mouvements, construite sur des principes de symétrie et d’effets de miroir, Anderszewski se fait tour à tour délicat et lyrique, puis tranchant et percutant, avant de conclure par un dernier mouvement fugace et cristallin.  Anderszewski sculpte admirablement le son et fait vivre cette musique emblématique de la modernité viennoise, qui dans d’autres mains peut sembler terriblement aride et froide.

À lire également : Le Piano envoûtant de Pallavi Mahidhara
Piotr Anderszewski © Simon Fowler/Warner classics
Des vagues d’émotion

Enchainant les deux pièces, Anderszewski se lance sans transition dans l’avant-dernière sonate pour piano de Beethoven, une de ses œuvres fétiches, qu’il a déjà enregistré deux fois. Composée après une longue période de maladie et l’achèvement de la Missa Solemnis, la sonate pour piano n°31 en la bémol majeur est une pièce monumentale, introspective et complexe. C’est aussi une œuvre qui nous fait traverser toute la gamme des émotions, du désespoir le plus profond à la joie la plus intense. 

Grâce à son jeu extrêmement varié, son toucher incroyable et son sens de l’architecture de l’œuvre, Piotr Anderszewski a fait vivre cette sonate avec une émotion et une intelligence musicale rares. Il nous a transporté dans des vagues successives, alternant un jeu tantôt chantant, tantôt percussif, tantôt mélancolique. Dans le dernier mouvement, sa capacité à sculpter le son, à travailler les silences nous a ouvert des abîmes de désespoir, qui sonnaient comme un adieu à la vie. Enfin, dans la conclusion, Anderszewski fait résonner le développement final de façon héroïque et passionnée, comme un acte de résistance face à la mort et le triomphe de la joie. 

Cet éternel insatisfait est sorti souriant de sa performance, et a gratifié le public qui l’ovationnait de trois bis, la Sarabande de la Partita n°1 et le Prélude n°12 en Fa Mineur du 1er livre Le Clavier bien tempéré de Bach et la Mazurka n°3 de Karol Szymanowski. Ces trois bis joués avec toujours la même intelligence musicale et sensibilité ont apporté la conclusion parfaite à un récital exceptionnel et émouvant, une parenthèse poétique et enchantée hors du temps.

- Espace publicitaire -
Sur le même thème

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

- Espace publicitaire -

Vidêos Classykêo

Articles sponsorisés

Nos coups de cœurs

- Espace publicitaire -

Derniers articles

Newsletter

Twitter

[custom-twitter-feeds]