AccueilA la UneUn "Tristan" pas comme les autres, à l'Opéra de Paris

Un « Tristan » pas comme les autres, à l’Opéra de Paris

Nota bene : Ce compte rendu a été écrit après avoir assisté non pas à une, mais à trois représentations de la série ainsi qu’à une partie des répétitions. Il a donc vocation à faire état de la représentation du 26 janvier ainsi que de l’évolution de cette série à ce jour.

Une même partition mais tout est différent

Rarement compositeur aura souffert d’un pareil biais cognitif de son auditoire. Avant même d’effectuer la démarche d’aller écouter son premier opéra de Wagner, l’on a déjà été abreuvé de moult préjugés à son sujet. Ainsi, avant d’y aller, on peut donc s’attendre à un « cirque permanent », que l’on pourrait entendre du fond de la mer, diffusable d’un hélicoptère, où les cuivres règnent en maitres absolus et où la femme parfaite pèse au minimum un quintal et a un casque à corne.

Toutefois la direction de Dudamel est aux antipodes de ces préjugés. Durant 4 heures, il semble inépuisable ; la battue est ample et précise, et même ses postures semblent mimer le rendu souhaité. Le résultat est ce soir particulièrement remarquable, et c’est un orchestre en pleine forme, le suivant au doigt et à l’oeil, qui lui répond. Tout est net, souple -en particulier le 3ème acte pourtant redoutable pour continuer à captiver une audience au bout de 4 heures de musique- et parfois même tourbillonnant dans ses envolées.

Sa lecture de la partition est nerveuse et fluide. Ici, un piano est réellement joué piano et cela a pour avantage de mettre en valeur des aspects de la partition trop rarement audibles -dont, par exemple, l’accompagnement orchestral du récit de Kurwenal au premier acte, habituellement insipide. Ecueil logique de cette interprétation, l’on peut à quelques moments manquer de profondeur et de puissance orchestrale, notamment lors de l’intervention des cuivres lors des injonctions de Brangäne durant le duo du deuxième acte.

Cela est aussi le fruit d’un travail d’une efficacité redoutable durant les répétitions. Directeur musical de la Grande Boutique, Gustavo Dudamel, jouit manifestement d’une excellente relation avec l’orchestre tant d’un point de vue humain qu’artistique. Conséquence de cette adhésion, et de l’immense intelligence musicale du maestro, le courant passe en répétition, et après une première lecture, tous les ajustements sont expliqués, détaillés puis intégrés dans la foulée par la phalange.

Plusieurs modifications de la mise en espace des musiciens et chanteurs viennent parachever ces changements sonores. Ainsi, les choeurs à l’arrivée des marins de la fin du premier acte, ne sont plus au fond du parterre mais tout en haut du second balcon (la distance importante cause un léger décalage, du fait de la vitesse du son). Les cuivres hors scènes sont désormais 20 mètres plus haut que lors de la précédente reprise, et plusieurs solistes voient également leurs positionnements modifiés, bien que l’impact musical soit moindre.

De l’importance des seconds rôles

Ce n’est pas parce que l’on a pas son nom dans le titre que l’on est pas amené à jouer un rôle majeur dans l’intrigue, et la distribution des seconds rôles est remarquable. Ainsi, la Brangäne d’Okka von der Damerau est toute en puissance sur l’ensemble de sa tessiture, et dispose d’un timbre rond et d’une longueur de phrasé qui donnent la désarmante impression qu’il est aisé de tenir tête à 90 musiciens. Léger inconvénient, ses imprécations depuis le balcon -donc au milieu du public-, a puissance constante manquent sensiblement de relief, et tendent à éclipser l’orchestre.

En sidekick de Tristan, le Kurwenal de Ryan Speedo Green, est totalement investi physiquement dans son rôle. Son utilisation de se ceinture abdominale pour irradier la salle le fait légèrement se courber à chaque grosse attaque. La technique apparait légèrement forcée dans les passages vocalisant, mais le rendu est très expressif, notamment grâce à l’usage de ses muscles faciaux.

Pour lui répondre, le Roi Marke d’Eric Owens déploie un émouvant timbre lyrique, au vibrato ample, mais seyant à l’image d’un souverain terrassé par la douleur. Les graves sont chauds et puissants, les voyelles précises et le son concentré. Habitué aux rôles wagnériens dans les salles immenses, la sonorisation de l’auditorium ne lui pose aucun problème, y compris dans les graves.

©Elisa Haberer

Finalement, le Melot de Neal Cooper bénéficie de sa très bonne présence scénique, y compris dans les moments silencieux. Le timbre est léger, mais la rythmique et la projection sont bien en place. Le choix de son phrasé, presque haché par moment au second acte, permet de donner une impression hargneuse, cohérente avec le personnage. Maciej Kwasnikowski, bénéficie lui d’une bonne projection et de voyelles claires, et alterne entre légèreté et douceur lors de son passage a capella.

Opéra ou drame, pourquoi choisir ?

La problématique de la place de l’intensité dramatique vis à vis de la musicalité dans un opéra est toujours épineuse. Doit on privilégier l’action ou bien rester coûte que coûte dans le musicalement beau à tout instant ? Sans avoir la prétention de fournir une réponse à valeur d’évangile -plusieurs thèses pourraient en effet être écrites sur cette question, rien que pour Tristan et Isolde-, on peut simplement rappeler ici que l’oeuvre de Wagner s’inscrit dans un certain rejet du bel canto. Ainsi, Tristan est un -Musikalische Handlung- (« action musicale »), et le compositeur a consacré, en 1851, tout un essai à cette problématique : « Opéra et Drame » consultable ici.

Un point toutefois demeure certain, la tyrannie du musicalement beau ne saurait totalement prospérer sur une oeuvre se revendiquant comme allant au delà de la simple musique.

©Elisa Haberer
Commencer par Isolde, il fallait oser

Dès lors, l’Isolde de Mary-Elizabeth Williams prends un autre éclairage. Celle-ci compose sur cette série avec un triple handicap. Tout d’abord, elle se confronte à l’un des rôles les plus exigeant du répertoire alors qu’elle n’avait jamais chanté dans une production germanophone trois mois auparavant, dès lors, la prononciation de l’allemand lui demande une concentration particulière. D’autre part, elle fait face à deux limites vocales non négligeables. Ainsi, lors des passages crescendo, si le point culminant, forte, est un (i) ou un (ou), son timbre velouté peut alors tirer vers l’acide, probablement du fait de l’effort physique considérable requis par le rôle. De plus, sur les phrases longues terminant dans les graves de sa tessiture, la projection peut manquer sur les ultimes notes.

©Elisa Haberer

Comment réussir à surmonter ces obstacles ? En maximisant l’intensité dramatique et l’intelligence musicale. Au fil des répétitions et des représentations, les postures s’affinent de plus en plus pour optimiser l’assise ; et la symbiose avec le chef se fait de plus en plus millimétrée. Il est fort compliqué pour une soprano d’être visible dans cette mise en scène, qui tend à les écraser entre le gigantesque écran aux projections constantes et la fosse ; et le travail de Peter Sellars se limite alors aux vidéos de Bill Viola. Cette Isolde le réussit toutefois en s’investissant totalement dans son jeu. Ainsi le (Ch) de Lich est simultanément chantée et à valeur de bruitage lorsqu’elle mime l’égorgement de Tristan entre ses mains. Les pizzicati du début du deuxième acte lui permettent de bouger la tête brusquement, inquiète à la recherche de son Tristan.

Et il y a fort à parier que d’autre trouvailles viendront agrémenter les représentations suivantes. Mais surtout, un effort considérable est mis ici sur le relief, en synchronisation avec l’orchestre, pour offrir un rendu ciselé, artistiquement cohérent avec l’orchestre et en accord avec ses capacités actuelles.

Le Tristan de Michael Weinius doit lui aussi composer avec deux limites. L’une structurelle, puisque son timbre très léger pour un ténor wagnérien lui impose d’excellentes harmoniques aigus et des voyelles impeccables pour pouvoir maintenir une projection dans l’auditorium de l’Opéra Bastille sur trois actes malgré un manque d’ampleur relatif. L’autre conjoncturelle, puisqu’il était souffrant lors de la troisième représentation, et avait tout de même dû chanter durant le premier acte, le temps que son remplaçant atterrisse à Paris et arrive à l’Opera et n’est pas ce soir pleinement rétabli. La fatigue se fait donc sentir et malgré une bonne longueur de phrasé la plupart du temps, certaines notes sont trop courtes. Durant le deuxième acte, si le duo fonctionne globalement bien, le manque de force empêchera de procéder à l’envolée lyrique qui aurait pu achever de convaincre l’auditoire.

©Elisa Haberer

Le public parisien ne fut jamais tendre avec Wagner. En 1860, alors qu’un jeune Richard devait rencontrer un Rossini au sommet de sa gloire, les rumeurs allaient bon train sur les hypothétiques crasses que lui aurait fait le belcantiste. Ainsi, l’on racontait alors qu’à un diner, Rossini aurait annoncé à ses convives un turbot en sauce pour ne leur servir que la sauce. Face à l’interrogation des convives, le compositeur aurait alors dit que ce plat était comme la musique de Wagner. Un bruit affirmait qu’une bonne aurait fait tomber des assiettes dans une pièces adjacente, et que le compositeur aurait alors remarqué que cela sonnait comme l’orchestre de la grotte de Venus, dans Tannhauser

S’il ne s’agit là que de rumeurs infondées, la première de Tannhauser en 1861 à l’Opéra Le Peletier, vira en revanche au fiasco suite à la cabale du Jockey Club, et l’oeuvre fut déprogrammée au bout de 3 soirées au lieu de 25.

Pis encore, en 1891, la première de Lohengrin au Palais Garnier, dans un contexte fort antigermanique, vira à l’émeute place de l’opéra et il fallut finalement faire charger la cavalerie sur la foule.

Plus récemment, il n’était en certaines occasions pas même besoin d’attendre la première pour assister à une véritable bronca. Ainsi, en 2008, lors de la répétition générale de Parsifal mis en scène par Warlikowski, la diffusion à l’ouverture du troisième acte de la scène du suicide d’Edmund, dans Allemagne année zéro de Rossellini déclencha une telle agitation que Gerard Mortier demanda que l’on rallume les lumières pour intimer aux chahuteurs de quitter la salle.

À lire également : Tristan et Isolde à Aix, entre triomphe et huées

Concernant cette production de Tristan et Isolde, il fut une époque où Sellars et Viola faisaient eux-même les frais de quelques poignées de spectateurs mécontents.

De l’utilité des huées à l’entracte

De manière plus générale, au delà de toute considération historique, il est toujours possible de rappeler que le fait de huer des chanteurs, de surcroit à l’entracte et donc avant qu’ils remontent sur scène, est au-delà d’insultant, totalement contreproductif. Ainsi, que d’autoproclamés gardiens du temple wagnérien ne goutent que moyennement la proposition artistique qui leur est faite est une chose. Toutefois, les sifflets, quand bien même ils n’impacteraient pas le casting, ont un effet certain sur le reste du public, qui passe alors du plaisir et de l’émotion lyrique à la consternation devant tant d’indélicatesse.

"Depuis plus de 20 ans, M. Richard Wagner soutient en Allemagne une lutte ouverte contre l'ancien opéra. Le combat dure encore, et n'a cessé de passionner tout le public des arts et des lettres. (…) Dans les régions élevées de l'art, les tentatives de charlatanisme outrecuidant échouent bien vite devant la froideur et l'indifférence ; c'est le privilège des innovations fécondes de provoquer l'injure et de se heurter à des haines implacables." 

Le drame musical et l'oeuvre de M. Richard Wagner, revue des Deux Mondes, 15 avril 1869

A ce titre, il est intéressant d’observer la levée de bouclier que ce fait divers a créé dans la presse et sur les réseaux sociaux, ainsi que la condamnation unanime qui l’a suivi. Le mal était toutefois fait, et ce quarteron d’arbitres des élégances se rêvant au festival de Bayreuth avait réussi à empoisonner la soirée. Fort heureusement, une standing ovation d’une bonne partie de la salle vint saluer l’ensemble du plateau lors de la seconde représentation ; et la somptueuse prestation de l’orchestre de l’Opéra lors de cette quatrième laisse augurer que cette série n’a pas dit son dernier mot, et va continuer sa montée en puissance.

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