AccueilA la UneSix Suites de Bach, à l’école d’Anne Teresa de Keersmaeker

Six Suites de Bach, à l’école d’Anne Teresa de Keersmaeker

DANSE – La chorégraphe belge invite le public bruxellois à apprécier les incontournables Suites pour Violoncelle de Jean Sébastien Bach, dansées par sa compagnie ROSAS, au sein de son école P.A.R.T.S. (en partenariat avec la Monnaie de Bruxelles).

Composé de quatre danseurs (quatre suites en solo) et d’Anne Teresa de Keersmaker en maîtresse de cérémonie, le spectacle anciennement baptisé Bach 6 Cellosuiten s’entend désormais sous le nom de Mitten wir im Leben sind (Au cœur de la vie, nous sommes) poursuivant la conversation avec le compositeur, amorcée il y a 12 ans.

« La musique de Bach aspire à être le reflet de l’ordre divin visible dans l’univers – elle exprime un désir sans réserve d’harmonie. Elle se caractérise également comme une sorte de clarté rayonnante, à la fois dans sa forme plus grande et dans les détails. » Anne Teresa de Keersmaeker

Un esprit sain…

A la fois physique et métaphysique, Mitten wir im Leben sind entretient la véritable captation de l’essence de Bach tout en invitant à une relecture plus corporelle de ses suites écrites entre 1717 et 1723. Cette période correspond aux années de dépouillement de vie du compositeur, qui a perdu sa femme et plusieurs de ses enfants. Né quarante ans après la guerre de Trente Ans, période qui a réduit l’Allemagne de la moitié de sa population, Bach est marqué par la disparition. L’idée d’une musique de l’essentiel et de la solitude est au cœur d’une oeuvre qui résonne avec l’urgence de mouvement et de vie qui en découle. 300 ans après leur achèvement, Les Suites pour Violoncelle de Bach trouvent un sens particulier dans l’austérité et la modernité de la chorégraphe pour qui seul le corps triomphe.

Quand Keersmaker rencontre Bach

Cum mens corpori (quand l’esprit rencontre le corps)

« L’œuvre musicale de Bach a toujours été un phare pour moi, depuis le tout début de ma carrière. Cependant, je sentais qu’à l’époque je n’étais pas encore prête à vraiment en assumer la complexité et l’abondance, et à la transposer dans la danse. Plus j’ai réussi à pénétrer la structure de la musique de Bach ces dernières années, plus le génie absolu de Bach s’est révélé à moi. » Anne Teresa de Keersmaeker 

Anne Teresa de Keersmaeker, fille illégitime de Maurice Béjart et Pina Bausch amorce en 1993 un dialogue avec la musique du compositeur dans son spectacle Toccata. Sa carrière avait débuté avec la mise en danse des partitions de Steve Reich et sa Violin Phase. Douze ans après, danser Bach s’impose comme une pratique au-delà de la musique ancienne, à l’encontre d’une physicalité particulière, et plus instantanée. Bach traverse les temps à travers l’élaboration d’une musique résolument psychologique et architecturale en une forme qui s’hybride corporellement avec la chorégraphe.

Les danseurs d’Anne Teresa de Keersmaeker tentent ainsi la mise en mouvement d’un motif avec la précision de l’infiniment petit en opposition avec l’amplitude infiniment grande du motif musical. La partition complexe de Bach se forme en une structure pleine que la chorégraphie rend plus mouvante encore. La ligne musicale est pensée sur un ensemble de corps respirants, capables d’imprimer les sensations versatiles d’une musique religieuse et métaphysique. La chorégraphe l’assure, le compositeur a compris les règles de la rhétorique classique et réussit à rendre universelle les mémoires individuelles à travers une ornementation musicale des plus intimes.

De la même façon qu’un directeur musical va se plonger dans la partition et l’identité de son auteur afin de tirer l’essence et la personnalité d’un opus, Anne Teresa de Keersmaeker tient un rapport étroit avec l’œuvre écrite de Bach afin de développer sa propre expression. Le résultat est à l’image de la musique du compositeur : complexe, humaine, sévère, opaque parfois, proposant instances lucides et fulgurantes.

« Dans sa musique, il a réussi à donner forme à la mort. C’est à la fois très concret et très abstrait. C’est cela que Bach a réussi mieux que personne : donner forme à l’abstraction. Son formalisme est toujours ancré dans l’humain. J’aime la chorégraphie pour la même raison : parce que vous pouvez incarner des idées abstraites. Cette idée d’incarnation… » Anne Teresa de Keersmaeker

PARTS & ICTUS

Fondée en 1995, l’école P.A.R.T.S. fait office de laboratoire de danse pour la chorégraphe, inspiré par l’école Mudra du chorégraphe Maurice Béjart à laquelle elle s’était même formée.
P.A.R.T.S. est avant tout un projet artistique qui rassemble les pratiques du corps, partageant la structure scolaire avec la compagnie de danse ROSAS mais aussi avec l’ensemble de musique contemporaine Ictus qui accompagne la compagnie depuis longtemps.

Bach réinventé 

La musique de Bach est ici jouée au violoncelle par le soliste français Jean-Guihen Queyras. Si la partition de Bach réussit à se débarrasser des « excédants musicaux de l’époque» pour ne laisser que l’essentielle et abstraite ligne de la musique, Jean- Guihen Queyras réussit à rendre la structure purement architecturale de Bach.

Sans Partition, assis sur une chaise au milieu de l’espace sombre, le soliste marque par une rigueur formaliste résolument expressive. Cinq danseurs (Marie Goudot, Michaël Pomero, Julien Monty, Boštjan Antončič et Anne Teresa de Keersmaeker), six suites aux motifs et aux expressions différentes, un musicien qui « danse assis », l’ensemble répond à l’idée grandiose de Bach, pourtant si minimaliste.

Ces suites n’ont jamais été commandées au compositeur, elles proviennent de son seul désir et d’une compréhension complexe du mouvement de vie. L’ambiguïté d’exister se dessine alors en une grande lucidité en six suites, conjurant tout chaos.

« Il ne s’agit pas d’une histoire que l’on pourrait raconter, mais Bach vous fait vivre une série d’émotions et d’expériences très intenses à travers la formalisation. (…) Bach vous laisse danser dans la musique comme si toute pesanteur était abolie, organisant un flux où il contient harmonie et mélodie de manière parfaite. » Jean-Guihen Queyras

Jean-Guihen Queyras
Bach : de la Suite dans les idées

L’une après l’autre, les suites évoquent le rapport de l’homme à son espace, la nature et les sons ambiants, jusqu’à son introspection et l’identification des douleurs, mêlée d’une joie de vivre survivaliste.

Cette lumière transparaît d’autant plus dans l’expression de la danse qui vient nourrir la palette de Bach d’une expressivité redoutable. Amateur de mystères musicaux, le musicien et la chorégraphe ont tenté ensemble d’identifier la ligne de basse secrète de Bach. Les unissons et les accords se complètent en une illusion polyphonique, pourtant monodique.

Instrument-Ensemble qui résonne avec la plupart des corps dansants, la ligne de basse n’est jamais jouée mais existe cependant à l’oreille, à la manière d’une gravité permanente qui entache le mouvement.

Cette ligne de basse est au cœur de la dramaturgie mise en place par le duo danse-musique, ligne essentielle directrice qui s’impose à la manière d’un ordre caché. Chaque mode majeur ou mineur pensé par Bach devient une mise en avant ou mise en recul des danseurs. La traduction spatiale de la musique se fait alors seule ornementation, mêlée au mouvement du corps mathématique et géométrique scellé par le musicien.

À lire également : Bach the minimaliste, (d)étonnant !
Sobre scène

La mise en scène répond à ce dépouillement absolu. Au sein de la salle de spectacle de P.A.R.T.S., le sol gris clair rectangulaire répond au silence du noir environnant.

Au sol, des lignes de scotch colorées arpentent et dessinent des géométries, des tracés physiques et des liens mystérieux. Ces marques au sol sont les règles du jeu, géométrie du mouvement quasi-horloger qui fait office de fil rouge entre les différents spectacle de la chorégraphe. Vortex Temporum ou Rilke, Cosi Fan Tutte fonctionnait sur la même ligne.

Un pentagramme est visible, déroulé au scotch rouge par Anne Teresa de Keersmaeker entre chaque suite de Bach. Chaque danseur arrive avec une connaissance du corps et de la musique personnalisé, qui ajoute un biais à l’oeuvre de Bach et à la chorégraphie de Keersmaeker. La découpe des suites est simple : un soliste par suite, puis La Maître de Cérémonie vient s’ajouter à la danse avant de disparaître à nouveau. Le mouvement se fait aussi l’allégorie d’une vie qui se noue et se défait dans un motif récurrent.

Chaos organisé

Infinité de propositions mathématiques, les moment de danse en groupe s’imposent très naturellement : pas de technique à proprement-parlé de la danse, pas de millimétrage ni de mouvement calibré. La diversité prime sur l’homogénéité, puisqu’elle ne représente pas le réalisme de la musique de Bach, chaos organisé, ressenti, partagé.

Le potentiel humain et sa complexité viennent ainsi nourrir le minimalisme du décor. Il n’y a pas de recherche du geste beau ni du séduisant .. ni dans la musique ni dans le mouvement, puisque c’est le dépouillement qui s’impose en esthétique.

Les gestes en apparence simple ne le sont pas, les regards entre les danseurs, les moments d’attente, de contact et de tension font toute la beauté de la chorégraphie. L’ensemble réussit à forcer la concentration du spectateur sur l’essentiel, le naturel d’un mouvement pensé il y a 300 ans, emprunt d’une modernité et d’une épure redoutable.

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