CONCERT – Dans le cadre du Festival Présences, la Philharmonie de Paris a proposé, ce vendredi 10 février, une formule originale, associant une nouvelle orchestration du Ricercare à six voix de l’Offrande musicale de Jean-Sébastien Bach avec deux créations contemporaines. Un pari parfois douteux quant à sa pertinence.
Du baroque au contemporain, une gageure audacieuse
Le concert, divisé en deux parties, était l’occasion d’entendre trois nouvelles créations. Engageant un pari intéressant, et en l’occurrence réussi, Thomas Lacôte a proposé, plusieurs décennies après le compositeur autrichien Anton Webern, une nouvelle orchestration d’un célèbre passage de l’Offrande musicale de Bach, le Ricercare à six voix. Transformer une complexe partition pour orgue en une œuvre pour orchestre était loin d’être évident, mais l’orchestration, qui était le fruit d’un intense travail de la part de son auteur, a été une authentique réussite. Dans le chant des instruments qui se mêlaient les uns aux autres, dans le savant jeu de miroirs du contrepoint, dans la variété lumineuse et précise des timbres, on reconnaissait une expressivité toute baroque, la voix de Bach.
Éclats cinglants
À l’occasion du Festival Présences, qui donne chaque année à entendre les œuvres d’un compositeur vivant, favorisant ainsi la création contemporaine, l’Orchestre philharmonique de Radio France a ensuite présenté la création française du Second concerto pour violon de la compositrice coréenne Unsuk Chin, intitulé Schreben der Stille (Éclats de silence). Dans les aspérités du silence, la musique a surgi comme autant d’éclats, d’incises tranchantes et acérées, qui peu à peu composent une fresque musicale, toujours menacée entre l’émergence d’une cellule mélodique et son étiolement – toujours oscillant entre masse sonore et silence. Les sons fragmentés, projetés comme des bris de verre, avaient le caractère de l’inquiétude et le charme de l’hypnose. Leonidas Kavakos au violon et Kent Nagano à la direction ont su en rendre toute la difficulté, qu’il s’agisse, pour le violoniste, de l’extrême virtuosité de la partition, ou, pour le chef d’orchestre, de l’apparence labyrinthique que revêt l’architecture du concerto, pour reprendre les mots de la compositrice elle-même.

Requiem pour un Requiem
Une quelconque cohérence fut par contre difficile à percevoir dans la deuxième partie du concert, consacrée à la création du Requiem Aeternam de Yann Robin, pendant de son grand-œuvre orchestral Monumenta I, créé en 2013. Non content d’avoir tronqué la messe des morts de son déroulé habituel (texte étrangement sectionné, parfois mutilé, absence de Sanctus et d’Agnus Dei…), le compositeur en a également travesti l’esprit : permanente saturation sonore, explosion des timbres, substitution de sifflements et de sons gutturaux à toute esquisse de chant.
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On pourrait nous présenter ce Monumenta comme une collision entre musique sacrée et musique profane, dans le creuset d’une démesure instrumentale choisie, où la déflagration sur-déployée des sons et des harmonies contribuerait à une sorte d’expérience immersive au cœur de la masse sonore. Mais c’était plutôt, et tout simplement, un choc de timbre contre timbre, de son contre son, de bruit contre bruit, dont la logique échappait à l’entendement, et qu’il était franchement difficile de supporter. On peut déplorer que l’originalité voulue de la pièce se soit faite au détriment de la nuance et, probablement, de la subtilité.
Le philosophe allemand Lichtenberg avait habilement en son temps établi le paradoxe du couteau sans lame auquel ne manque que le manche : était-ce encore un couteau ? On se demandera si un Requiem sans chant et sans sacré est, au fond, encore un Requiem.