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Kazushi Ono à la tête d’un monument sacré : le Stabat Mater de Dvoràk

CONCERT – Le Stabat Mater trouve chez Dvoràk une lecture d’une intensité particulière, portée en musique par le directeur musical résidant de Flagey, Kazushi Ono à la tête du Philharmonique de Bruxelles. La salle est comble, tout autant que la scène qui accueille le Vlaams Radio Choir et l’Octopus Symphonic Choir, soit une centaine de chanteurs en compagnie de quatre solistes.

C’est la première fois que Kazushi Ono réunit toute la famille du Philharmonique pour faire entendre l’opus triomphant de passion de Dvorak.

Le Stabat Mater : kesako ?

Tiré d’écrits mystérieux et d’un poème médiéval en 20 strophes de trois lignes dont la paternité reste inconnue (d’un moine franciscains ou bien de Jacopene da Todi), le texte témoigne d’une histoire aux carrefour des temps : la perte tragique d’un enfant, symbolisée par la Vierge Marie, mère de Jésus, se tenant debout (stabat mater, en Latin) au pied de la croix où agonise son fils.

« Elle était debout, la mère, malgré sa douleur en larme, près de la croix, tandis que son fils subissait son calvaire. »

Stabat Mater, anonyme.
Une lecture toute personnelle

Le Stabat Mater Op. 58 d’Antonin Dvořák trouve une résonance particulièrement tragique chez son auteur. Alors tout jeune père, il doit déjà pleurer la perte de son enfant, ce qui le fait basculer dans une création pieuse afin de se détourner de la torpeur. Profondément religieux, Dvořák travaille une première version durant un an, interrompue à nouveau par la perte de sa fille de onze mois, Ruzena, durant un accident domestique (elle aurait ingéré du phosphore). Moins d’un mois plus tard, c’est son fils, alors âgé de trois ans qui décède de la variole. Atteint si profondément par le deuil, Dvořák entrevoit la douleur et dépasse alors sa tragédie personnelle pour la diriger vers une voix plus spirituelle. Dvořák offre au public une première de son Stabat Mater en 1880, qui connait un succès immédiat.

Un extrait du Stabat Mater de Dvorak, lumineux et poignant

Première œuvre religieuse de Dvorak, le Stabat Mater marque par une extrême finesse d’architecture dont la lumière réussit à percer en dix ouvertures. Ces dix versets laissent transparaître une direction émotive qui laisse une grande place à l’interprétation. Positionnés au-delà de l’ensemble des instruments, les chœurs forment un arc de cercle, les solistes placés entre les instruments et les chœurs, à la gauche de la scène.

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Le mur du son

Cette disposition offre un ensemble musical total, les voix des solistes se distinguant parmi la ferveur totale des chœurs. Le chœur des femmes tend vers la finesse des arias éthérées et flottants, jamais poussifs. Elles sont les voix de la rédemption. Profondes et riches, les voix d’alto viennent tempérer la clarté des voix soprano en tenant un contrepoint plus boisé et cuivré qui résonne avec l’orchestre. Les voix masculines, souvent en retenue ne couvrent rien de l’orchestre, voix et instruments se mêlant en un mur sonore complexe, millimétré et émotionnellement prenant.

Le Philharmonique de Bruxelles, le Vlaams Radio Choir et l’Octopus Symphonic Choir ©Wouter Van Vaerenbergh

Fondé en 1937, le NIR (Institut national de radiodiffusion de la Belgique) fonde le chœur de chambre professionnel Vlaams Radiokoor, qui compte aujourd’hui parmi les ensembles les plus réputés de Belgique. Dirigé depuis 2019 par Bart Van Reyn, le choeur de la Radio Flamande est parfois rejoint par Octopus, un ensemble flexible (professionnels et semi-professionnels) de 32 à 100 chanteurs, en fonction du répertoire abordé.

Direction lumineuse

Tenant la ferveur des chanteurs et de l’orchestre, Kazushi Ono réussit, comme à son habitude, à mêler une énergie bien personnelle à l’opus. Si l’œuvre de Dvorak reste une œuvre de douleur, c’est sa part la plus salutaire qui transparaît avec le directeur musical qui insiste sur la lucidité et la grande lumière de l’opus. Les arias les plus aigus s’éloignent des pleurs féminins pour joindre une ligne éthérée et divine, tandis que les voix plus graves viennent apporter rondeur et tenue au propos.

Mis en musique par plus de 400 musiciens de tous temps et horizons variés (Rameau, Vivaldi, Pergolesi, Rossini….), l’exigence de direction pensée par Dvorak trouve dans le directeur musical du Philharmonique une rigueur émotionnelle et une physicalité remarquable.

Des voix dignes

Tout aussi remarquable, la distribution des solistes laiss apparaître une rigueur religieuse au chant, mêlé d’une modernité de voix tenue.

La soprano Ilse Eerens s’impose, magistrale, grâce à un vibrato serré, puissant et très maîtrisé dans les aigus, qui restent limpides et pourtant réservés. L’abnégation de la musique religieuse requiert une tenue de la voix (ce que la chanteuse belge sait très bien faire) tout en lui conservant la chatoyance et la richesse qu’elle contient. Le résultat est d’une extrême maîtrise, rendu avec une facilité déconcertante. Le public belge avait pu voir dernièrement Ilse Eerens dans le rôle de Sophie pour la production de cette saison du Rosen Cavalier de Richard Strauss.

Le plateau de solistes de ce Stabat Mater ©Wouter Van Vaerenbergh

L’alto Estelle Defalque réussit à offrir une voix ample, éthérée dans les aigus et très modelée dans les notes les plus graves. Le registre religieux convient tout à fait à la soliste qui réussit à marquer sa présence parmi l’orchestre et les solistes avec une élégance rare, voire une certaine noblesse. Enrobée et humble, les vibrato percent avec rondeurs, larges et quasi baroques durant l’Inflammatus et accensus (alto solo) qui offre à la chanteuse une occasion de briller.

Plus tenu, précis et piquant, le ténor Fabio Trümpy détonne parmi la distribution. Lyrique et presque belcantiste, le phrasé appuyé, tenu et ornementé du chanteur suisse dessine un Fac me vere (ténor et chœur) résolument tragique. L’interprétation tend à rapprocher le sens intemporel de cette musique avec un contexte pus lyrique et traditionnel.

Andrew Foster-Williams et sa voix de basse s’impose, magistral. Abyssal, déclamatoire, le phrasé du chanteur l’approche du rôle de maître de cérémonie. Tenu et formel, Andrew Foster-Williams réussit à monter l’architecture d’une voix de plus en plus puissante à mesure que le drame religieux s’amplifie. Le baryton-basse anglais s’impose avec une grâce et une autorité vocale redoutable avec un Fac, ut ardeat cor meum à couper le souffle.

Ovationné par le public belge, la salle est entièrement dressée au moment des applaudissements. Flagey et Kazushi Ono auront réussi à assembler les talents nombreux des instruments au service d’une musique divine certainement renouvelée et exaltante par sa lumière.

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