AccueilA la UneTrois contes par le Philharmonique de Bruxelles, à Flagey

Trois contes par le Philharmonique de Bruxelles, à Flagey

CONCERT – A l’occasion de l’annuel Klara Festival, Bruxelles devient la musique, comme le souligne le titre de cette saison Become Music. Au programme du Studio 4 de Flagey, Ilan Volkov offre au public d’entendre trois contes signés de Béla Bartók, Leoš Janáček et la compositrice Cassandra Miller, à la croisée des temps et des genres.

Devant l’orchestre du philharmonique, le Vlaams radiokoor ainsi que l’altiste Lawrence Power, le chef Ilan Volkov invite à une lecture horizontale des Ríkadla (Nursery Rhymes) et du Mandarin merveilleux, laissant place au Concerto pour alto de Cassandra Miller , I cannot love without trembling en première mondiale. Basculant des comptines à l’horreur du thriller Bartokien, le concerto de Cassandra Miller s’impose clou de la soirée, magistral et vibrant.

« Ma femme est haute comme une botte, je la mettrai dans la casserole avec un couvercle par-dessus, pour qu’elle cuise dans ma popote. »

Connu pour les opus produits durant les vingt dernières années de sa vie, Leoš Janáček avait 72 lorsqu’il écrit les comptines absurdes de Ríkadla en 1924. Si la plupart des compositeurs vieillissent et prennent en maturité, Leoš Janáček a préféré la clairvoyance d’un humour léger, véritable retour en enfance. Absorbé par le phrasé caractéristique des gens qu’ils croisent, les textes de Leoš Janáček sont marqués par une prosodie purement tchèque. Le compositeur ethno-musicologue et folkloriste avait en effet pour habitude de glaner et récolter les expressions de ses contemporains dans les cafés et lieux publics pour trouver de nouvelles mélodies.

« Les inflexions du langage parlé montrent si la personne est folle ou sage, endormie ou éveillée, fatiguée ou alerte. »

L. Janáček

Fidèle à cet environnement communicatif, le compositeur s’amuse alors à allier le réalisme des sons du quotidien avec le classicisme de la musique tout en abordant le recueil des comptines du recueil Říkadla. Le style du compositeur tchèque peut être à la fois intime et sombre, mais aussi plus solaire et divertissant. Il est largement présent dans un recueil pour un petit ensemble, qui privilégie souvent des pièces de format court plutôt que des formes plus élaborées. Les Říkadla, empruntes d’une apparente simplicité des mélodies enfantines rappelle le style de Stravinsky dans ses œuvres telles que Renard ou les Berceuses du chat. En tant que chantre du folklore tchèque, Janáček déploie un humour grinçant et des refrains accrocheurs, tout en cherchant constamment à renouveler son écriture avec une originalité presque déroutante. Le choeur de la radio flamande est presque régressif, retombé en enfance avec une précision véloce des textes, prosodiques et piqués. La musique ludique s’illustre par l’ensemble réduit et puissant de l’orchestre. Auparavant pensé pour un ensemble réduit, il ouvre la composition à des éléments instrumentaux plus narratif encore avec des flûtes et piccolo, clarinettes, ocarina, contrebasse et tambour pour enfant.

Ivan Volkov, chef invité principal du Brussels Phimharmonic ©James Mollison
Le Mandarin merveilleux : « Ce sera une musique infernale si je réussis »

Tiré du livret de Menyhért Lengyel, le Mandarin Merveilleux de Béla Bartók s’impose comme un ballet à l’intrigue policière redoutable. Plaçant le contexte de crime sordides dans une ville où des jeunes hommes agressent une prostituée ainsi que sa clientèle, le livret présente en personnages masculins deux clients sans le sou (vite assassinés de sang-froid) ainsi qu’un troisième : le noble chinois. Ce Mandarin merveilleux tentera coûte que coûte de poursuivre la jeune prostituée en fuite afin de l’embrasser, mais pris de court par les agresseurs, il est battu et laissé pour mort. Ce n’est qu’après avoir reçu le baiser de la jeune femme qu’il s’autorise à basculer dans la mort.

Musique à la mesure d’un propos des plus violent, la musique de Béla Bartók s’impose comme un thriller aux sons stridents, étirée et pleine de tension nerveuse. L’ensemble puissant de l’orchestre dessine un tableau angoissant qui requiert l’attention totale du public. La musique imagée de Bartok dessine l’horreur, faisant basculer totalement l’ambiance solaire des comptines précédentes dans un univers plus clos.

I cannot love without trembling

Ultime concerto de Cassandra Miller, I cannot love without trembling, est présenté ce soir au public belge, en première mondiale. Connue pour son Duet for cello and orchestra élu parmi les meilleurs morceaux de musique du XXIe par The Guardian (en numéro 19), la compositrice canadienne a travaillé en collaboration avec l’altiste Lawrence Power et s’est laissé inspirer par son jeu lyrique.

La compositrice Cassandra Miller ©Narrow Yard

Tiré d’une connexion particulière ressentie lors de la découvertes des écrits de Simone Weil, dans lesquels la philosophe affirme que « toute absence porte en elle une forme de présence », Cassandra Miller a réouvert la voix philosophique de sa musique. Un lien similaire a été ressenti par la compositrice lorsqu’elle a découvert la musique enregistrée d’Alexis Zoumbas et sa version des moiroloi, où des lamentations chantées par les femmes d’Épire lors des funérailles.

Ce système de création se base sur la rencontre et le collage sensitif, le rapprochement de deux idées musicales : d’une part les lettres tragiques de Simone Weil, de confession juive entourée par la mort, qui considérait la musique comme une opération philosophique autour du nombre et du rythme, proche de la réflexion platonicienne.. et de l’autre les fameux chants traditionnels grecs moiroloi.

Musique traditionnelle de l’Épire (Nord de la Grèce), jouée pour les funérailles. Drôle de Requiem…

« Dans la lamentation de Zoumbas, j’ai cherché un espace surnaturel pour pouvoir rêver, un espace de séparation et de connexion, d’absence et de présence, dans l’espoir que nous puissions pleurer et rêver ensemble dans la salle ce soir. »

Cette importance tragique se découvre dès le début du concerto pour alto, lorsque le soliste Lawrence Power commence à jouer sur son alto, étirant les notes, l’archer déployé en glissando typique. Les notes rappellent les violons juifs glissants et aigus et la musique traditionnelle yiddish, symbolique des instruments klezmer, approchant les notes longues du violons à des voix humaines féminines. Répétant les notes glissés et aigus, basculant progressivement dans le silence total, les ondes vibrantes amènent à une concentration totale. Le public semble absorbé par la musique de Cassandra Miller qui donne des frissons. Une foule de pleureuses semblent se dessiner à travers le solo de Lawrence Power qui incarne alors une tragédie en 4 cordes.

Cette musique d’empathie repose sur une construction chimique de la musique. Tirant sources dans des références de la musique ambiant, avec un silence qui s’obtient par la ligne étirée des violons (Alessandro Cortini, Scappa )comme de l’électronique par sa répétition de lignes à cordes qui rappelle le jeu de Colin Stetson et son jeu de saxophone, comme ici avec le morceau The stars in his head, ou bien l’ambiance général du morceau qui rappelle le coté méditatif de Godpeed, You Black Emperor, DeadFlag Blues (à 1:48 min) .

Lawrence Power réussit à s’imposer magistral, absorbé par une musique plus humaine que mystique, portant les souffrances de la perte humaine.

I cannot love without trembling requiert une présence totale du public pour percer la clé d’écoute, demande un lâché-prise afin de rejoindre l’équilibre du morceau, éthéré, lourd de sombre et pourtant solaire. Les aigus ressemblent aux pleurs de femmes, au vent qui caressent les maisons sur les plaines.

Lawrence Power ©

La compositrice est parti de cet enregistrement afin d’entrer dans un circuit méditatif et ritualisé de répétition d’un “chant automatique”, s’approchant d’une respiration proche du soupir et des pleurs. Un espace surnaturel se forme alors dans l’interstice d’une musique absente des preuves qui ne sont une preuve de l’absence. Les images apparaissent dans la puissance d’une musique intrinsèquement intime, absorbée par les expériences cachées de chacun, l’empathie formant la forme présente de ce concerto.

Une fois le morceau terminé, un silence assourdissant vient compléter les dernières notes, offrant au public un moment pour se réincarner et retrouver Cassandra Miller, présente sur scène. Tenue en ovation, la compositrice

  

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