AccueilÀ l'écranLa Belle au bois Dormant de Marcos Morau : s'éveiller à la...

La Belle au bois Dormant de Marcos Morau : s’éveiller à la danse

À L’ÉCRAN – Jusqu’au 23 mai 2023 est disponible sur Arte.fr une fascinante réinterprétation par Marcos Morau du ballet de Tchaïkovski, La Belle au bois dormant, dont la création a eu lieu à l’Opéra de Lyon, le 24 novembre 2022. Cette critique nous permet de donner le coup d’envoi à un nouveau format, au sein duquel nous vous proposerons de (re)visionner des spectacles de danse, disponibles à la demande sur différentes plateformes de streaming.

Le spectacle en intégralité sur arte.tv

Dans les ténèbres du sommeil : un Tchaïkovski 2.0 

Non, cette création ne sera pas une énième et trop classique interprétation du conte populaire et de son ballet, bien connus. Le caractère étrange de la mise en scène est affirmé dès le début : le rideau se lève sur une scène nimbée de lumière rouge. L’atmosphère est pesante et sourde. On aperçoit d’emblée la troupe qui aura à exécuter ce terrible ballet d’une heure et demi : les costumes et le maquillage donnent aux danseuses et danseurs l’aspect de princesses sépulcrales et terrifiantes, avec un bonnet et de modestes robes blanches d’intérieur. De leur côté, les notes familières de la mélodie de Tchaïkovski prennent rapidement la forme d’échos déformés, comme une voix distordue, entendue au loin pendant le sommeil.

Car oui, de sommeil il est bien question – mais pas de la manière dont on pourrait s’y attendre. Ce qui nous paraît être le sujet de cette mise en scène, ce n’est pas tant l’aspect extérieur du repos, le corps endormi pris dans l’immobilité de sa beauté ; mais la plongée dans les abysses de l’inconscient, la libération tumultueuse et menaçante des passions. La chorégraphie qui prend forme est étrange et déconcertante, comme le spectacle d’une intériorité psychique nécessairement irrationnelle. Le plus fascinant reste sûrement cette virtuosité chorégraphique que l’on observe dans l’alternance entre d’un côté, des moments de danse en formation serrée, où chaque élément semble incarner la partie d’un tout organique, une sorte de créature extraordinaire, et de l’autre, un éclatement à la suite duquel chaque danseuse ou danseur trouve une autonomie de gestes.

The dancing dead

Sans jamais tomber dans la parodie psychanalytique, le spectacle glisse ainsi lentement vers une sorte d’explosion pulsionnelle. On se laisse happer par une chorégraphie proprement hypnotique, dont les mouvements se décomposent soit en saccades torturées, soit en gestes ronds et caressants. Disons-le franchement ; le ballet a dans ses débuts quelque chose de profondément angoissant et cryptique. Les membres semblent se désarticuler comme ceux des zombies dans les films hollywoodiens. Il y a également ces ondes sonores, faites de basses puissantes, et ces lumières en néons, ainsi que cette démultiplication de la présence dérangeante d’un même être aux contours incertains. Au cinéma, on parlerait même de screamers pour désigner ces moments où retentissent des coups d’archets stridents aux cordes – parfois accompagnés d’un changement soudain d’éclairage.

Le rapprochement n’est pas arbitraire : l’accompagnement prend souvent l’aspect d’une bande originale de film d’horreur, pour aller ensuite vers des sonorités de musique électro, tandis que le groupe d’une quinzaine de danseuses et danseurs fusionne, tel un magma insaisissable dans ses ondulations possédées. Parfois, la danse semble se structurer autour de scénettes, à renfort même ponctuellement d’accessoires – la Belle au bois dormant est donc une mère, puisqu’un nourrisson circule de main en main ? ou est-ce l’image onirique d’autre chose ? un fantasme ? et que dire dans ce cas des bouquets qu’apporte une procession ? et pourquoi cette figuration des différents âges de la vie ? est-ce le simple miroir du passage du temps, comme l’indique la description sur le site d’Arte ? une exploration des virtualités de la conscience ? ou l’appréhension concrète de ce que peut être, pour le corps, un sommeil éternel ? Quoiqu’il en soit, l’illusion du sens ne tient jamais bien longtemps, et le ballet a tôt fait de dissiper chacune de nos certitudes.


Attachez vos ceintures, le rythme s’emballe

De l’absurde il y en a, mais au sens le plus noble. Car, quoi de plus étrange et déconcertant qu’un songe ? Les ambiances changent du tout au tout sans transition, l’ancien cohabite avec le moderne dans un tourbillon de genres et de tons, au sein duquel Tchaïkovski s’impose sur de longues minutes avant de disparaître inopinément, pour réapparaître après de longues angoisses.

Pour les inspirations de musique synthpop, les lumières, les ambiances, et surtout les danses, une envie de faire un tour chez Muse:

Énergie statique

Dans le dernier tiers du ballet, vous trouverez un passage interminable, vraiment interminable (avouez-le, si vous avez regardé ce spectacle sur écran, vous avez été tenté de déplacer le curseur pour l’écourter). Le moment en question pousse jusqu’à l’extrême une idée assez rudimentaire : les danseurs traversent la scène en courant, sans but précis. Ils vont d’un bout à l’autre de la scène, troquant leurs vêtements contre des accessoires plus modernes, faisant d’innombrables fois les mêmes va et vient. On sourit, au début. Puis on perd patience. On ne voit pas d’évolution, on se demande où cette farce doit mener. Et puis, quel paradoxe ! Les corps sont en mouvement, et pourtant, du point de vue de la narration, rien n’avance

Vous en avez assez ? Attendez encore un peu.


Oui, il faut rendre justice au génie du chorégraphe Marcos Morau. Le spectateur qui reste et cherche à comprendre finit par être récompensé. L’agitation dans ce décor écarlate se mue insensiblement en une déstructuration de l’espace scénique. On ne se contente plus de courir ; on emporte avec soi un rideau, un bout de mur. La lumière devient plus blanche, plus crue, les corps sont encore plus dénudés. Soudain, tout est apparent : il ne reste que l’ossature de la scène, avec ses innombrables poutres en métal. Ce n’est plus qu’une structure dépouillée de tout ornement. Le rêve, au moment de prendre fin, à l’instant de l’emballement final, revient au plus élémentaire. Rien, sinon l’essentiel : la nudité primitive, le décor sans fantaisie. C’est l’exposition, la mise en lumière de la plus profonde intimité psychique. La Belle au bois dormant est-elle cette vieille femme qu’on aperçoit in extremis et qui semble avoir dormi plusieurs siècles ? Au fond, nous n’en savons rien. Et qu’importe ? Ce n’est pas son visage que nous avons appris à connaître au cours de ce ballet, mais bien les contours de sa psyché.

Ah, au fait. Les danseuses et les danseurs parlent.

- Espace publicitaire -
Sur le même thème

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

- Espace publicitaire -

Vidêos Classykêo

Articles sponsorisés

Nos coups de cœurs

- Espace publicitaire -

Derniers articles

Newsletter

Twitter

[custom-twitter-feeds]