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L’esprit de la sonate souffle sur le Festival de Pâques

CONCERT – Ce mercredi 5 avril, l’écrin de l’Auditorium Campra du Conservatoire Darius Milhaud offre ses cimaises à deux artistes arrivés aux cimes de leur art : Renaud Capuçon au violon et Igor Levit au piano. Place forte est faite à la tradition, chez Bach, Brahms, Busoni, triangle dont le centre est Franck, et sa forme cyclique, compositeurs parvenus au fait de l’art sacré de la transcription, du commentaire et de la variation.

Un programme funambule

Le maître-mot de la soirée, donné en filigrane, semble être « équilibre ». Les deux artistes, qui se rencontrent pour la première fois en France, en penseurs, assemblent des sonates qui tissent entre elles un fil solide et invisible, une architecture sacrée au fondement de la musique, et de son énergie vibratoire et harmonieuse. La musique fait partie, dans les arts libéraux du Moyen-Âge, du quadrivium, avec l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie, tradition que les compositeurs choisis mettent au travail de la forme sonate. L’interprétation de la soirée en révèle la quintessence.

La Sonate en fa majeur de Bach (BWV 1018), offre la succession chorégraphique de quatre mouvements s’ouvrant sur tempo lent, typique de la sonate dite d’église. La musique de Bach retrouve le groove originel de la danse sacrée, de la ronde ou de la carole, effectuée jadis par les druides puis les moines. La musique déroule son long serpent – sa mélodie toujours recommencée – en s’inscrivant dans un temps qui semble éternel, cyclique. Les entrées en imitation – en contrepoint – sont clairement reconnaissables, comme les flammes de chandelle dans la nuit. Le troisième mouvement est, dans sa sereine nudité, un hommage à l’accord parfait.

La Sonate n° 2 en mi mineur(BV 244) de Busoni, le grand transcripteur, rend hommage, quant à lui, au métier de Bach, lui ajoutant des éléments de lyrisme et d’expression : résonance des cordes graves du piano, jeux d’archet, travail thématique contrasté, expression émotionnelle. Pourtant, l’« esprit saint », sinon sacré, est bien là, caché sous le boisseau. Il y a de la géométrie, de la combinatoire, de la fugue, dans cette œuvre en robe noire, qui marche sereinement vers la Passion, avec son piano-cathédrale et son violon-évangéliste, délivrant la Parole divine dans les plis du silence.

Un extrait du concert du 5 avril, avec la sonate en La majeur de César Franck

La Sonate en la majeur (FWV 8) de Franck fait du cycle un principe d’écriture, marquant les étapes d’un cheminement, avec ses continuités et ses ruptures. Le thème, plus qu’un matériau, est un univers entier, un cosmos, avec ses continents, ses océans, ses archipels, sa succession de nuits et de jours. Le troisième mouvement laisse éclore une mélodie d’aube, qui n’est pas sans rappeler les derniers opus pour piano de Brahms, les « berceuses de sa vieillesse », émergeant d’un chaos de textures à la dentelle précieuse.

La passion selon Capuçon et Levit

Le violoniste, qui regarde dans la même direction que le pianiste, se met au service du langage musical, en particulier dans le troisième mouvement de la sonate de Bach, dans laquelle il réalise, le « remplissage » harmonique, laissant la mélodie au piano. L’archet pénètre dans la chair du son, sans la blesser, en enroulant sa partie à ses fibres les plus solides. Dans la sonate de Busoni, Renaud Capuçon ajoute à sa palette expressive ces glissandi ascendants qui font chanter l’âme de l’instrument. L’engagement corporel devient un paramètre central de l’interprétation, en particulier cette marche immobile des deux jambes, sorte de moon walk aussi irrésistible que nécessaire, voyage à la découverte d’espaces sonores nouveaux. L’art du vibrato et celui du maniement de l’archet se combinent étroitement. Ils sont mis au service du timbre, dans sa pluralité et sa minutie, au paroxysme comme à la limite du silence, ajoutant dans la sonate de Franck une nouvelle scintillance et quelques griffures.

À lire également : Avec Arvo Pärt, Renaud Capuçon fait l'expérience du silence

Les mains du pianiste se font caressantes, bruissantes, sans jamais paraître quitter le clavier. Son corps entier s’enroule, le front orienté vers l’instrument, comme pour accueillir physiquement la résonance, se laisser traverser par elle. Le dosage des décibels relève chez Levit d’un cheminement organisé, depuis l’éclosion des notes essentielles chez Bach jusqu’aux paroxysmes busoniens, en passant par les volutes franckistes. Avec son jeu souplement étagé, la force provenant de la jointure des épaules, le piano sonne comme l’orgue, tandis que le son semble baigner dans une eau lustrale. Parfois, chez Busoni, la partie de piano paraît s’échapper de l’âme du violon. Chez Franck, Levit retient le brillant de ses notes aigues, pour laisser au violon sa corde la plus sensible.

Le public, avec recueillement et ferveur, demande très vite un bis. Le mouvement central de la sonate en la majeur de Brahms vient faire écho au message précédent, avec son architecture et son jardin féérique, sa canopée dorée et sa terre de bruyère.

Le festival de Pâques, à Aix-en-Provence, se poursuit jusqu’au 16 avril

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