COMPTE-RENDU : A la Halle aux Grains de Toulouse, l’Orchestre National du Capitole dirigé par Kazuki Yamada présente un programme dédié à la musique du XXème siècle intitulé « Fascinant Debussy », auquel s’ajoutera le claveciniste invité Jean Rondeau.
Depuis ses fructueuses collaborations avec l’orchestre philharmonique de Monte Carlo et l’orchestre de la Suisse Romande, la passion pour la musique française de Kazuki Yamada n’est plus à démontrer. Ses interventions à la tête de l’orchestre du Capitole sont parmi les plus remarquées. Ceux qui y étaient présents se souviennent probablement encore de sa magistrale troisième symphonie de Mahler donnée en 2017. Il présentait la saison passée un programme sur la seconde école de Vienne (Berg et Schoenberg). Il reste aujourd’hui dans le XXème siècle avec des œuvres plus accessibles : deux incontournables de Claude Debussy : Jeux et La mer, le Concert champêtre pour clavecin et orchestre Francis Poulenc et le Concerto pour orchestre du plus français des compositeurs japonais, Akira Miyoshi.

L’union avec l’orchestre
Une nouvelle fois, la magie prend avec l’orchestre. Une véritable lecture est donnée de chaque œuvre associant grande précision technique (que l’on oublie finalement très vite, emporté par la musique) et vision d’ensemble. Les tempi rapides du Concerto pour orchestre génèrent une dynamique immédiate. Les deux œuvres de Debussy comme celle de Miyoshi nécessitent de très fins assemblages orchestraux successifs que Kazuki Yamada sait doser et mélanger à la perfection. Il ne perd pas un pupitre malgré l’ampleur des effectifs développés et cela est très probablement le fruit du travail d’écoute pendant les répétitions. La mécanique rythmique est impeccable. Chaque note tombe sur son temps, même quand il s’agit d’enchainements croisant différents instruments. Les intensifications orchestrales, notamment pour les finals du premier et troisième mouvements de La mer et du Concerto pour orchestre sont à la fois puissantes et coordonnées rendant l’effet recherché.
À lire également : Daniel Barenboim, "Debussy a changé la trajectoire de la musique"
La création d’ambiances, particulièrement nécessaires dans l’impressionnisme de Debussy est aussi remarquée, notamment dans Jeux où les allers-retours mélodiques se succèdent avec des effets de nuances symbolisant les élans d’excitations interrompus par des suspensions de culpabilité. On peut aussi citer le deuxième mouvement du Concerto pour orchestre que les violoncelles et les contrebasses initient avec des accents sombres et intrigants.
Le divorce avec le clavecin
Les qualités de l’orchestre dans le Concert champêtre sont les mêmes que celles précitées. Les couleurs « champêtres » sont pleinement révélées par celui-ci et il se prend d’engouement dans les passages évoquant les danses populaires ou pastorales. Pour le clavecin de Jean Rondeau c’est malheureusement tout l’inverse. Il ne suit pas toujours les tempi de Kazuki Yamada, ce qui a pour conséquence de le décaler dans les ensembles et de casser la dynamique dans les parties solistes. Le jeu est par ailleurs assez monotone et désincarné, par moment quasi mécanique ne dégageant aucune impression ni même émotion. La coordination avec l’orchestre est aussi imparfaite et l’on surprend de légères latences entre les parties solistes et l’orchestre. Sa virtuosité lui permettra cependant de passer les parties les plus rapides sans accrocs. Peut-être le résultat aurait-il été plus homogène si Jean Rondeau avait lui-même dirigé l’orchestre depuis son clavecin ? Il aurait pu peut-être ainsi imposer sa lecture de ce concerto.

Pour peu qu’il en soit pourvu, celle-ci est en tout cas totalement effacée par l’exécution de l’orchestre. Même s’il est de tradition que les solistes soient libres de leur tenues, un léger effort vestimentaire n’aurait pas été de trop pour améliorer au moins l’effet visuel de ce concerto et marquer le respect envers l’orchestre local comme envers le public toulousain. La barbe hirsute, les cheveux ébouriffés et la chemise à poches vert délavée avec manches retroussées contrastent en effet tristement avec le costume à queue de pie bien coupé de Yamada et l’élégance générale des musiciens de l’orchestre. Revenant quelques siècles en arrière, à la période baroque, mais toujours dans la musique française, Jean Rondeau interprète pour le rappel Les barricades mystérieuses de Couperin. La forme pour clavecin seul lui convient mieux. L’interprétation, bien que toujours en retenue donne une certaine douceur à cette pièce.
Voyage de noce à prévoir !
Le concert du 7 avril à la Halle aux grains a donc balayé le début du XXème siècle musical français ainsi que ses influences sur le compositeur japonais Akira Miyoshi. Si le public est resté sur sa faim avec le Concert champêtre à cause d’une interprétation soliste peu engagée, les fresques impressionnistes de Debussy et le Concerto pour orchestre ont bénéficié de la parfaite unité entre l’orchestre et son chef. Le public s’est en tout cas montré enthousiaste par des applaudissements nourris. Un éventuel prochain concert de Kazuki Yamada avec l’orchestre du Capitole sera probablement une nouvelle fois encore très attendu.