AccueilA la UneKantorow, un pianiste cosmique au Grand Théâtre de Provence

Kantorow, un pianiste cosmique au Grand Théâtre de Provence

CONCERT – Le piano, cet instrument faussement massif, trop facilement consacré à la musique de masse dans les salons du 19e siècle, pour lesquels écrivaient Schubert, Brahms et Liszt, est joué, en corps-à-corps, par le prodige Alexandre Kantorow, premier pianiste français à avoir convaincu l’oreille intraitable du Concours Tchaïkovski.

Une présence féline

Un récital comme celui d’Alexandre Kantorow, dimanche 9 avril dans le cadre du Festival de Pâques permet d’éprouver, de manière optique, épidermique et acoustique, l’aura particulière d’un interprète ; sa présence, sa signature, son empreinte sonore. Dès l’entrée du pianiste sur la scène, le public attentif peut déjà s’attendre à la qualité de l’interprétation qui va suivre, à sa nature profonde. Une notion prend substance sur la scène, dès l’avant du récital, celle de « continuisme ». La manière qu’a Kantorow, physiquement, de s’attacher au piano, fait écho à sa lecture musicale. Il se penche, le dos voûté, vers le noyau du son, ou se tient à l’arrière, de ses avant-bras dénudés, comme pour laisser passer librement la musique, la laisser sortir de terre. Le buste, dans les moments d’intimité paroxystique, se tourne vers la gauche ; ailleurs, la jambe gauche vient se plier à l’équerre, le pianiste démontrant l’ambidextrie que requiert l’instrument. 

©Caroline Doutre

Continuellement, ses mains immenses sont aimantées par telle ou telle touche. Quand elles ne le sont pas, elles occupent tel ou tel espace, avant ou arrière, selon un ballet naturel qui permet au pianiste de les faire respirer. Le poignet est suspendu et pendule comme un fil à plomb. Les épaules tournent sur elles-mêmes, précieuses rotatives, tandis que les coudes se relèvent ensemble, de manière à tracer un carré – magique – avec le clavier. Le centre de gravité de l’interprète se situe quelque part dans sa colonne vertébrale, en fonction des compositeurs dont il cherche à restituer le rapport au monde, la présence, le souffle. Sa respiration, justement, se fait sonore, sifflante et puissante, tandis que les parties mélodiques les plus lyriques sont redoublées par le murmure de son chant. Un tel usage du corps, total et spontané, ne peut que correspondre à une approche organique du jeu musical, dans lequel le mouvement produit un legato augmenté, non seulement entre les notes, mais entre les matériaux thématiques travaillés par les compositeurs. Kantorow parvient à donner au public la nostalgie du son qu’il vient juste d’écouter, à l’entraîner dans la course nerveuse de sa rythmicité…

À lire également : l'interview perchée d'Alexandre Kantorow
Un programme « astrophonique »

Le musicien se révèle à travers les éléments qu’il réunit, les pièces qu’il assemble, afin de constituer un répertoire et de le transmettre : acte créatif important, dont la pureté ne peut être infléchie par les bis, florilèges aussi acrobatiquement délurés que la paraphrase de La Marche Turque de Mozart signée Volodos. Même là, le pianiste fait écho à la poétique de Liszt, grand commentateur de la musique de ses aïeux comme de ses pairs, et à sa manière d’articuler intimement virtuosité et créativité. Il y a du souffle dans les opus des trois compositeurs choisis, de la mesure et de la démesure, du sur-legato et du sur-piqué : la Sonate n° 1 du jeune Brahms, des transcriptions par Liszt de lieder de Schubert – Der Wanderer, un extrait des Müllerlieder, Frülingsglaube, et deux extraits des Schwanengesang – suivies, dans le texte original cette fois, de la Wanderer Fantasie en ut majeur de Schubert, op.15, D.760. 

©Caroline Doutre

Le programme permet d’apprécier l’inventivité sonore du pianiste, ses différentes manières d’appréhender la touche – le toucher, l’un des sens humains -, puisant dans les quatre éléments : l’eau avec Schubert, la terre et le feu avec Brahms, l’air avec Liszt. Ce compagnonnage étroit qu’entretient le jeune pianiste avec la substance originelle de l’inspiration musicale, concrète et nécessaire, le préserve de tout dandysme, de toute posture. Il est entièrement absorbé par le monde-piano dans lequel il fait pénétrer l’auditeur, ouvrant des espace-temps verticaux : en dehors de toute pesanteur et de toute durée, incandescents ou éthérés. Le son fourmille dans les deux cas, pluie d’étincelles ou souffle d’asphodèles. L’accord de septième diminuée – romantique par essence – se balade d’une œuvre à l’autre, se taisant pour laisser à la mélodie dérouler ses cycles d’ombre et de lumière. Le langage tonal, déjà mis à l’épreuve chez Schubert, se déleste, sous les doigts de Kantorow, de sa dimension grammaticale, de ses règles abstraites d’écriture. Harmonie et mélodie fusionnent, se déterminent mutuellement, dans ce répertoire qui requiert un musicien qui soit en « dé-mesure » de l’interpréter.

Le public du Festival de Pâques réserve une standing ovation au jeune pianiste, au composé rare d’intériorité et d’extériorité, de sensibilité et de virtuosité que son jeu manifeste, se situant à la croisée des mondes de la création et de l’interprétation.

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