AccueilA la UneBarenboim - Argerich en marathon à la Philharmonie

Barenboim – Argerich en marathon à la Philharmonie

COMPTE-RENDU. En ce mercredi 12 avril, la grande salle Pierre Boulez accueillait l’orchestre de la Staatskapelle Berlin, dirigé par son vénérable chef Daniel Barenboim, et rejoint par Martha Argerich le temps d’un concerto. Le programme était ambitieux : Livre pour cordes de Boulez, Concerto pour piano n°1 de Liszt, et Symphonie fantastique de Berlioz pour finir. Une soirée qui, comme le triathlon, réclamait pour chaque épreuve des qualités bien spécifiques.

Boulez joué à domicile

Le Livre pour cordes (1968), c’est le genre de morceau qu’aucun programme de concert n’arrive à vous expliquer clairement. Il s’agit d’une pièce au départ écrite pour quatuor à cordes, puis adaptée pour orchestre. Des six sections originales, il ne reste dans cette nouvelle version que « Variation » et « Mouvement », deux chapitres qui ont même fusionné en un seul bloc en 1988.

Le public a retdnu son souffle à l’entrée de son athlète favori, lui qui a publiquement déclaré en manquer ces temps-ci. Barenboim est apparu sous un tonnerre d’applaudissements et attaqua cette pièce pour orchestre à cordes, redoutable et affreusement exigeante. L’exécution fut, comme le commandait la partition, extrêmement méthodique, et si ce genre de composition nous résiste d’habitude, il faut en l’occurrence rendre justice aux altos et aux violoncelles pour leur grain de son soigné. Souvent difficile d’écoute, l’écriture épurée et extrêmement ciselée du compositeur prenait ici la forme d’un long murmure caressant, qui circulait de pupitre en pupitre. Ne vous méprenez pas : il ne s’agissait nullement d’une fièvre sentimentale. Voyez-y plutôt une trame continue, erratique, colorée de jeux de timbres, au sein de laquelle l’orchestre se mettait à ressembler à une forêt sombre d’où provenaient des sons inattendus. Là est sûrement l’enjeu paradoxal de cette épreuve de précision : réussir à valoriser les jeux de timbres tout en brouillant les frontières entre pupitres.

À ce moment du concert, on pouvait déjà déceler un fait qui allait se confirmer au cours de la soirée : Barenboim adoptait un rôle de coach, plutôt que de coéquipier. Son engagement dans la partie, d’une gestuelle minimale dont l’orchestre ne semblait pas s’inquiéter, annonçait que l’équipe jouerait avec la mémoire d’un plan établi avant le match. Les consignes distillées dans le vestiaire devraient suffire, plus que la performance même du chef.

La demi-heure romantique ?

Une foule en délire accueillit ensuite Martha Argerich pour le Concerto de Liszt. Daniel Barenboim, qui avait insisté pour faire affronter à cette autre athlète de légende les applaudissements enfiévrés de la foule, eut cependant la maladresse de tourner trop vite le dos à sa soliste, qui réglait encore son siège au moment où l’orchestre quittait la ligne de départ. L’admirable pianiste ne se laissa pourtant pas décontenancer et attaqua avec férocité cette partition terrible. Quel étonnant concerto, chers lecteurs ! Imaginez quelque chose de tendre et réservé à la fois, comme des accents romantiques qui ne prendraient pas le temps de s’alanguir. Le plus romantique étant, en réalité, ces interventions de l’orchestre, terriblement naïves et claironnantes, en regard de la rage véloce et passionnée que la soliste mettait dans ses doigts. On en venait parfois, dans ces cascades de notes et cette avalanche de morceaux de bravoure, à se demander de quand datait le morceau : la phrase musicale semblait prendre vie hors de tout style, de toute époque, pour ne laisser place qu’à la plus pure exploitation véloce des potentialités du clavier. Martha Argerich y fut sublime et redoutable.

À lire également : Martha Argerich célébrée à la radio et à la télévision
Martha Argerich et Daniel Barenboïm : deux vieux amis réunis sur la scène de la Philharmonie de Paris ©Alexandre Wallon/Cheeese

Les dernières notes laissèrent le public en délire, et une semi-ovation se dessina, pour s’effacer ensuite devant un rappel bien préparé : un quatre mains de Barenboim et Argerich sur Petit Mari, petite Femme de Bizet.

Ligne d’arrivée et podium 

Berlioz, cet ami de Liszt qui avait dirigé l’orchestre pour la création du Concerto en 1855, eut enfin son moment avec la Symphonie fantastique. C’est tout en douceur que l’orchestre est entré dans cette dernière partie de la compétition. On eut tout le loisir d’apprécier la finesse d’orchestration de Berlioz, l’entremêlement des timbres, les sursauts d’intensité. La Staatskapelle Berlin sut ainsi nous faire profiter de belles couleurs chaudes – bémol pour le piccolo et les cuivres, trop présents sur les tutti – et joua notamment avec une grâce infinie le deuxième mouvement.

Les choses devinrent plus compliquées à partir du troisième : alors que le hautbois sortait de scène pour son dialogue avec le cor anglais, nous avons trouvé ce dernier incertain dans les attaques, et hésitant dans l’apport de souffle. Ajoutons à cela que ce début de la « Scène aux champs » se fit dans un climat plus bruyant encore que le reste du concert (Barenboim n’avait de toute façon pas marqué beaucoup de silences avant les départs), avec de nombreuses chutes d’objets et autres raclements de gorge du côté des supporters qui gâchaient cette fois franchement l’écoute. Ce fut également sur ce mouvement que l’énergie des interprètes commença à décliner. Dans la « Marche au supplice », les bassons et les cuivres se révélaient trop lourds et imprécis dans leurs contours, qui rendaient caricatural un discours musical pensé pour être déjà grotesque en lui-même.

Daniel Barenboïm au pupitre de la Staastkapelle Berlin ©Alexandre Wallon/Cheeese

Nous mettions nos espoirs dans le dernier mouvement, qui n’a malheureusement pas su redresser la barre in extremis. L’orchestre aurait peut-être eu besoin d’une consigne claire de son chef pour trouver un peu de dynamique. Le tempo du « Songe d’une nuit de sabbat » fut trop lent, bien trop lent – et surtout, de manière inégale. Les soli s’étiraient, perdant en vélocité et en précision, les pupitres n’arrivaient plus à se régler sur le même geste. L’ensemble sonnait étranglé, timide, pour ne pas dire maladroit. Si le Dies Irae fut convenable aux cuivres, les clarinettes et flûtes montrèrent un problème général de timbre et de volume. 

Les gradins ne semblèrent pas tenir compte de cet essoufflement. Au moment de l’ovation, la salle entière ne voulait plus quitter son champion, le forçant à faire des aller-retour devant le podium, alors que lui ne rêvait peut-être que de s’asseoir – mais ce qui se joue entre un artiste et son public n’est pas de notre ressort. Comme diraient les Inconnus : cela ne nous regarde pas

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