AccueilA la UneArgerich et Shani : l'orchestre au bout des doigts

Argerich et Shani : l’orchestre au bout des doigts

COMPTE-RENDU : Grand-messe à deux pianos au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, avec Martha Argerich et Lahav Shani.

Une semaine jour pour jour après le Vendredi Saint, les amateurs de piano obtiennent leur grand-messe au Grand Théâtre de Provence. L’infatigable Martha Argerich s’associe à l’impressionnant Lahav Shani pour un récital à deux pianos. Au programme, Prokofiev, Rachmaninov et Ravel, couronnés en rappel d’une touche de Bach et de Tchaïkovski.

piano piano, fort forts !
Deux pianistes, mais une vision

Martha Argerich et Lahav Shani forment un duo très complice. Et pour cause, ils se connaissent bien pour avoir joué ensemble à plusieurs reprises, à deux pianos, quatre mains et en concerto avec Martha Argerich au piano et Lahav Shani à la direction.

Cette facette des nombreux talents de Lahav Shani transpire d’ailleurs dans ses postures pianistiques, très expressives, avec un travail du buste presque dansant et certaines attaques très hautes – notamment à la fin de La Valse de Ravel – rappelant une gestique de chef d’orchestre. Face à lui, Martha Argerich contraste par sa stabilité inébranlable, dans l’extrême économie du geste, mais toujours aussi impressionnante de virtuosité et de musicalité.

Ces différences pianistiques n’enlèvent rien à l’osmose entre les deux acolytes. Les regards semblent presque inutiles et n’adviennent que pour les départs – donnés par Lahav Shani, en bon chef d’orchestre – malgré de nombreux passages très rubato (souplesse rythmique). Et cette entente est mise à profit dans un programme de haute volée.

À Lire : Martha Argerich : 80 ans de règne et un autre concert donné en duo l'avant veille par Argerich & Barenboim en marathon à la Philharmonie
Une époque, trois esthétiques

Pourtant très proches dans le temps, puisque composées sur les deux premières décennies du XXe siècle, les œuvres proposées se distinguent nettement les unes des autres dans le style et l’esthétique.

La première Symphonie, dite Classique, de Sergueï Prokofiev, proposée dans sa transcription pour deux pianos par le compositeur japonais Rikuya Terashima, rend hommage à Haydn et à l’époque classique. Donnée en ouverture du récital, le début en fanfare de l’Allegro et les touches presque comiques dans la Gavotte du troisième mouvement plongent tout de suite le spectateur dans l’esprit de la soirée.

Sans transition, le public se trouve entraîné dans l’infernale Suite pour deux pianos n°2 de Sergueï Rachmaninov, trop rarement donnée. L’opulence d’arpèges et d’ornementations chromatiques, d’où surgit l’harmonie, dans un style proche de l’impressionnisme très caractéristique, annoncerait presque le Troisième Concerto. Le spectateur retient également l’entrée de Martha Argerich dans l’Andantino du troisième mouvement, avec de magnifiques médiums cuivrés, comme surgis du néant.

Au retour de l’entracte, un passage à quatre mains, avec le fameux Ma mère l’Oye de Maurice Ravel, dans une esthétique résolument plus moderne. Comme l’œil du cyclone, avant La Valse endiablée du même Maurice Ravel pour conclure le programme, cette suite offre une parenthèse bienvenue après le tempétueux Rachmaninov.

Devant la standing ovation méritée, saluant ce fabuleux concert, une jolie transcription pour quatre mains de la cantate de Jean-Sébastien Bach Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit (le temps de Dieu est le meilleur) est jouée. Un deuxième rappel, la danse de la fée Dragée, tirée du Casse-Noisette de Tchaïkovski, encore à quatre mains – au cours de laquelle on croirait entendre du célesta ! – ne suffisant pas pour rassasier le public, nos deux comparses, décidément infatigables, reprennent le fougueux deuxième mouvement de la Suite pour deux pianos de Rachmaninov pour conclure cette merveilleuse soirée.

images © Caroline Doutre

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