AccueilA la UneMäkelä-Wang : notre tribune des critiques

Mäkelä-Wang : notre tribune des critiques

CONCERT – Hasard du calendrier : un même concert était donné à deux jours d’intervalle, dans deux salles différentes. L’Orchestre de Paris, dirigé par le surdoué Klaus Mäkelä se produisait aux côté de la prodigieuse Yuja Wang. Une création, trois oeuvres et deux points de vue !

Rémi est un mordu de musique. Très habile dans l’exercice du compte-rendu à chaud, son nom de famille (Clavier) le destinait à couvrir le concert du jour : un concerto pour piano !

Léon est parisien. Étudiant curieux de tout (et un brin poète), il écume les salles de concert depuis quelques temps pour nous, et connaît maintenant par coeur le parterre de la Philharmonie.

Nos deux jeunes pousses avaient coché dans leur calendrier (et on les comprend !) le concert de Yuja Wang aux côtés de son partenaire de jeu préféré en France : le chef de l’Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä. Problème : ce programme était donné le vendredi 14 avril à la Philharmonie de Paris, et le lendemain au Grand Théâtre de Provence, dans le cadre du Festival de Pâques. Pas chiche, la rédaction de Classique mais pas has been leur a accordé d’y assister, chacun dans leur ville, chacun dans leur fauteuil. En se disant que leur débat à distance donnerait quelque chose d’intéressant ! Et que s’ils avaient besoin d’en, parler en personne, la rédaction leur paierait le TGV pour régler leurs comptes…

Philharmonie de Paris vs Grand Théâtre de Provence : deux salles, deux ambiances…

Ouverture du concert par la Valse triste de Sibelius

Léon pose le contexte de l’oeuvre, en musicologue averti :

Léon : La Valse triste de Sibelius fut composée en 1903 pour le beau-frère du compositeur (Arvid Järnefelt) et sa pièce de théâtre Kuolema (« La Mort ») – une musique de scène taillée à la mesure du cœur tragique de l’intrigue. La formation instrumentale peut surprendre : flûte, clarinette, cors, timbales, cordes. Les toutes premières minutes sont fraîches et rondes, coupées dans un magnifique tissu chatoyant. Sur le rythme d’une valse, les nuances les plus subtiles et plaintives se succèdent sur la trame, frôlant le presque rien. Puis, subitement, sans qu’on arrive à dire quand exactement a eu lieu la bascule, la couleur devient sombre, menaçante – et soudain, le silence. Un morceau touchant et délicat, de six minutes, dont l’orchestre de Paris avait l’habitude de draper la fin de ses concerts. 

Pour Rémi, c’est l’osmose entre l’Orchestre de Paris et son chef qui est à souligner :

Rémi : La valse de Sibelius ouvre le concert dans l’apaisement, avec une entrée discrète aux contrebasses. L’osmose presque fusionnelle que Klaus Mäkelä a su créer avec son orchestre transparaît immédiatement. Adaptant en permanence sa gestique à l’humeur de l’œuvre, il peut s’autoriser par moment à laisser l’orchestre jouer seul, avant de reprendre la main, de manière presque naturelle.

La symphonie Pathétique de Tchaïkovsky fait l’unanimité

Nos deux chroniqueurs sont au diapason

Rémi : La symphonie n°6 de Tchaikovsky, clôturant le concert, permet véritablement à l’orchestre de Paris de montrer ses qualités par la diversité des caractères musicaux qu’elle met en scène et sa puissance lyrique. Le premier mouvement, notamment, dans une atmosphère mélancolique rappelant la valse de Sibelius, met à l’honneur le pupitre d’alto, qui s’acquitte de sa tâche avec grâce. Le public retient également les solos de basson, exécutés de manière remarquable. La valse du second mouvement, dans un esprit beaucoup plus romantique, est suivie d’une page épique, dont la conclusion provoque des applaudissements enthousiates – et prématurés – du public pensant l’œuvre terminée. Mais Tchaikovsky a en fait tenu à terminer son récit sur un mouvement adagio lamentoso aux accents déchirants, comme pour rappeler les moments de chagrin et de deuil qui suivent même les victoires éclatantes. Ce finale inattendu se conclut dans une extrême tension, et un silence de mort durant plus de dix secondes – montre en main ! – avant que le public, n’y tenant plus, n’explose. 

Léon, lui, s’est piqué d’amour pour ce qu’il appelle un « auto-requiem »

Léon : La Symphonie n°6 en si mineur de Tchaïkovski est une création sur mesure. Ici, le compositeur a été son propre tailleur. L’évocation de cette pièce-testament (1893) a une saveur particulière, et l’orchestre de Paris a su en rendre toute la complexité. Imaginez-vous un compositeur mettre tout son génie symphonique et sa plume vibrante dans sa dernière œuvre. Déjà, il y eut ces terribles premières notes du basson, ténébreuses, graves, intenses. Puis le chef se lança avec fougue et humilité dans la coordination des intentions et nuances kaléidoscopiques qui défilent dans le premier mouvement. Le discours n’est pas angoissant et pesant, cette symphonie n’a rien de monolithique. Au contraire, elle cherche, explore, investit la polyvalence d’une belle étoffe moirée. La précision des cordes fut jouissive, tout comme leurs accents élancés et chaleureux. Klaus Mäkelä sut incorporer à merveille cette oscillation entre le terrible, le léger, le timide, le caressant, le joueur. Bon sang, quel panache de la part du chef, quelle présence !

Grand Théâtre de Provence. Orchestre de Paris. Klaus Mäkelä, direction. Yuja Wang, piano

Il fallait le voir, malicieux, énergique, interdit, sautant, frappant dans le vide, brandissant un fleuret imaginaire. Entraînée par son énergie, la salle s’est surprise à applaudir dès la fin du troisième mouvement. Klaus Mäkelä ne s’est pas laissé faire et a aussitôt repris la main en lançant l’Adagio lamentoso. Toute vêtue de noir, la scène prit des airs de funérailles. Le thème, le phrasé, tout annonçait la mort. Le basson revenait, inexorable, et l’écriture multipliait les coupures de quelques petites secondes – qui rendent l’écoute déchirante et la tension insoutenable. A la fin, Klaus Mäkelä laissa planer le silence pendant 15 secondes. Cet instant de suspension totale fut proprement magique, et vint clore une soirée profondément touchante. De notre côté, bercé par ces instants splendides, il ne nous restait plus qu’à passer le vêtement du critique et vous préparer cet article.

La reine de la soirée : c’est Yuja Wang !

Une tenue de concert qui permet à Léon de filer la métaphore très haute-couture

Léon : Yuja Wang est une remarquable pianiste, dont le talent a été mesuré sur la scène internationale à bien des reprises. Elle se présente avec une robe dont la coupe et la couleur détonaient avec l’esprit de la soirée – c’était la première fois que le Sibelius était donné depuis l’hommage à Philippe Aïche, et le concert s’achevait après tout sur la dernière symphonie de Tchaïkovski. Nous n’irons cependant pas par quatre chemins : le Concerto pour piano n°3 représentait un défi technique surhumain, et il fut difficile de ne pas se laisser ébahir par sa vélocité proprement extraordinaire.

Grand Théâtre de Provence. Orchestre de Paris. Klaus Mäkelä, direction. Yuja Wang, piano
Rémi prend le relais pour nous expliquer l’oeuvre

Rémi : Les amateurs de piano (molto) forte se sont donnés rendez-vous ce soir au Grand Théâtre de Provence, pour une opportunité devenue rare, avec la présentation d’un nouveau concerto pour piano de Magnus Lindberg, tout juste créé en France. Commandée entre autres par l’Orchestre de Paris, et spécialement écrit pour Yuja Wang, l’œuvre est un véritable hommage à la musique du XXe siècle. Attendue fébrilement par le public, Yuja Wang entre en scène sous un tonnerre d’applaudissements.  La fusée chinoise prend immédiatement son envol et nous entraîne avec elle dans la stratosphère de la technique pianistique. Il faut dire que, profitant sans doute des capacités exceptionnelles de son interprète, Magnus Lindberg a commis une partition particulièrement ardue sur le plan pianistique.

Et Léon de la commenter

Léon : On eut le loisir d’admirer toute la richesse d’effets et de jeux que peut proposer ce noble instrument, avec lequel la pianiste faisait corps, tremblant, s’agitant, tout au long de cette éprouvante traversée. Très modale au départ, fuyante et énergique par ailleurs, la partition a surtout séduit une fois passée la première cadence, partie plus contrastée et profonde. Car, dans l’ensemble, s’il fallait émettre une réserve, nous dirions que le toucher de la pianiste a pu se révéler un peu trop âpre et sec dans la longueur, et que, surtout, le Concerto confinait parfois à une certaine monotonie dans l’écriture. Le dialogue entre l’instrument soliste et l’orchestre nous a ainsi semblé inégal selon les passages, et l’œuvre en général peinait à créer du relief. L’oreille se retrouve ainsi essentiellement sollicitée – parfois jusqu’à l’étourdissement – soit par de longues interventions techniques et brillantes au piano, soit par des sortes d’intermèdes qui ne s’assument pas comme tels. Cela n’enlève rien à la qualité de son contenu : les plus érudits pourront avec joie aller y chercher la trace de Bartók, Rachmaninoff ou Ravel, et la salle obtint ni plus ni moins que trois rappels. Yuja Wang méritait amplement les applaudissements qu’elle a reçus pour cette performance conçue en son honneur, dans laquelle on l’a sentie infiniment à l’aise.

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