AccueilA la UneCendrillon à Nice : du conte de fée au corps de rêve

Cendrillon à Nice : du conte de fée au corps de rêve

DANSE – Le chorégraphe Thierry Malandrin offre une lecture épurée et habitée de la musique de Prokofiev. L’occasion d’admirer le talentueux engagement du Ballet Nice Méditerranée, sous la direction artistique d’Éric Vu-Han.

Il ne leur manque que la parole

Dans cet opus, la partition de Prokofiev, transparente ou acide, toujours mue par un élan rythmique, colle au corps des danseurs, comme une seconde peau, un second souffle. La danse infuse l’avancée rythmique de la musique, l’habille et l’habite de chair, en relation étroite avec les timbres instrumentaux. Les tempi, de marche ou de quadrille, les longues plages sereines, les couleurs évocatrices des instruments les plus graves versus les plus aigus, viennent nimber la scène, traverser les corps des danseurs, les activant tels des fils de marionnettes ou les portant vers leur destin. Le chorégraphe Thierry Malandain conçoit sa partition en osmose avec la musique, selon une géométrie, voire une mathématique pythagoricienne, d’essence sacrée. Elle assemble une combinatoire de corps, saisissante dans les ensembles, secrétant, pour y parvenir, mille et un détails symboliques, nichés dans quelques rares accessoires : chaussure, voile, mannequin, cintre, béquille, etc. Les danseurs effectuent, en même temps que les textures d’orchestre, des mouvements patauds ou perchés, des entrechats huilés ou musclés, selon une vectorisation mathématique de leur corps, aussi pure que vibrante. Le flux élégant du spectacle est continu, mû par l’énergie de la musique, à moins que ce ne soit l’inverse ! Le chorégraphe se transforme, non en citrouille, mais en compositeur.

Un aperçu de la chorégraphie de Thierry Malandain pour Cendrillon

Du côté des anciens

Ces deux attitudes, plus que périodes, cohabitent harmonieusement dans la geste dansée, reprise spectaculaire d’un conte de fée. Du côté des anciens, le suivi narratif du conte correspond à des numéros clairement découpées (les Couturières, les Cavaliers, etc.). La gestuelle repose pour moitié sur la technique classique, ses entrechats et ses grands écarts, moitié sur des torsions évocatrices de corps, explorant ses confins. L’inspiration antiquisante des costumes et des figures appartient à la tradition du ballet de cour. Est bien présent tout le petit peuple magique – fée et elfes – qui constituent l’art délicieux de l’âge baroque, avec ses agréments cosmo-telluriques, ses créatures surnaturelles ou provenant d’un passé idéalisé. L’organisation hiérarchisée du corps de ballet (étoiles, solistes etc.) est également respectée, tandis que les personnages-danseurs accomplissent des prouesses proportionnelles à leur rang ainsi qu’à leur nature, en un savant contrepoint de figures. Mention spéciale pour le maître de danse et intendant des plaisirs, Romain Sirvent, et son énergie de lave en fusion, en contraste avec la suavité musclée du Prince, incarné par Luis Valle.

Technique classique pour la Bonne Fée ©Malandain ballet

Du côté des modernes 

Le « contemporain » vient premièrement du décor, minimaliste : une boite grise épurée. Les murs, aux lumières diversement colorées en fonction de l’avancée du conte (Jean-Claude Asquié) sont tapissés d’escarpins noirs aux talons vertigineux (Jorge Gallardo). Il est vrai que l’histoire gravite autour de l’objet-fétiche qu’est la pantoufle de vair, faisant du pied féminin l’instrument d’identification, l’aune unique que la danse vient particulièrement mobiliser. Les costumes, du même Jorge Gallardo, offrent leurs voiles seconde peau, leurs lamés noirs, dignes de la Guerre des étoiles, leurs teintes préraphaélites (ivoire, blanc, bleu ou vert pastel, etc.). L’ensemble donne dans le diaphane et le vaporeux. Les figures de départ et de fin, organiques, constituent un substrat d’humanité, prêt à germer ou à se replier. Notons aussi le geste original qui consiste à précéder le véritable moment des applaudissements, par un salut chorégraphié, appartenant pleinement à l’œuvre.

Une esthétique purement moderne ©Malandain ballet

L’ensemble donne dans la continuité d’une porosité entre fiction et réalité. Des mannequins, humanité vide, privés de tête, de mains ou de pieds, sont les partenaires des danseurs, lors du bal. Leur composé hybride est saisissant et magnétique, entre l’humain et l’artefact, la vie et la mort, le plein et le vide. Ils glissent entre les doigts des danseurs, qui composent avec eux des quadrilles millimétrés selon une mathématique secrète. La durée est une dimension cardinale de ce conte, Cendrillon s’évaporant pendant les douze coups de minuit. Le ballet, disposé comme un cadran d’horloge, incarne les heures, la fuite implacable du temps. Les gestes sont étirés, les sternums arrondis, les distances traversées au pas de course. Roulades, cabrioles et autres rampements font alterner barre à terre et déploiements aériens. Une gamme étendue de portés fait ployer les articulations. Les corps sont penchés, comme des saules pleureurs, orientés de manière oblique, tels des ectoplasmes. Les déhanchés sont reptiliens, notamment dans les duos entre Cendrillon et le Prince, qui apprennent ainsi, corps à corps, à se connaître. Est « moderne » encore, le pas collé au sol de Cendrillon (Veronica Colombo), mixte d’adhérence et de liberté. 

Coup de frais sur le duo de Cendrillon et son prince ©Malandain ballet

Une trilogie singulière

La dimension surnaturelle, version satanique, de la belle-mère et de ses deux filles, est incarnée par des hommes. « Elles » apparaissent de manière lancinante sur la scène, la saturant de leurs manigances morbides, amenant leur « grain de sales ». Ces créatures, Drag Queen, le charme en moins, sont animées de soubresauts étranges et anguleux. Des béquilles ou des bâtons de majorettes constituent des attributs à la fois menaçants et dérisoires. Pantins désarticulés, ces êtres se meuvent selon une gymnastique de batraciens, enrobant le Prince de leur glue. Leur violence coutumière s’exprime par des « jeux de mains, jeux de vilains », tandis que leur séance d’essayage – pour la robe de bal – les transforme en momies mal emmaillotées, voire mal embaumées. En « elles » réside la part d’humour du chorégraphe, qui regarde volontiers du côté du music-hall et du cirque, de la commedia dell’arte et du cinéma (du Bal des Vampires à Orange mécanique).

Oubliez Disney : voilà des vraie méchant.es ! ©Malandain ballet

Le spectacle restitue ainsi une narration propre à la matière du conte, entre réalité et symbole, profane et sacré, ironie et innocence. L’espérance – bien versus mal, ordre versus chaos – est apportée par la dernière apparition du trio infernal. Transformées en jardinières, elles arrosent les êtres étalés sur le sol, dont les bras s’ouvrent en corolle. Le sensible est partout sur la scène, tandis que les applaudissements résonnent très longuement dans la salle, depuis les mains sonores d’un public plus qu’émerveillé.

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