AccueilA la UneDante Project : la Divine comédie-ballet du Palais Garnier

Dante Project : la Divine comédie-ballet du Palais Garnier

DANSE – Coproduite avec la Royal Opera House de Londres -ce qui, concernant une oeuvre de McGregor est toujours bon signe- cette nouvelle oeuvre, librement inspirée de La Divine Comédie de Dante, arrive sur les planches du Palais Garnier. Retour sur cette première, aux trois actes très contrastés.

Dante et ses adaptations : pour le meilleur…

Si vous déambulez dans la Chambre de la Signature, au cœur du Vatican, prêtez donc attention aux quatre fresques réalisées par Raphaël. Vous verrez qu’un seul personnage y apparait dans plusieurs oeuvres -en l’occurrence, La Dispute du Saint-Sacrement illustrant les plus grands théologiens et Le Parnasse, panthéon des poètes. Ce personnage récurent n’est autre que Dante Alighieri. Cela vous donnera une première impression de l’importance du bonhomme.

Où est Charlie (enfin, Dante) ? En haut gauche. En tunique rose : vous l’avez ? (Fresque du Parnasse, Raphaël, Musées du Vatican)
Et là ? En bas à droite, couronne de laurier et tunique rouge… (fresque de la Dispute de Saint-Sacrement, Raphaël, Musées du Vatican)

La Divine Comédie a en effet bien des mérites. Premier texte majeur en Italien, son succès fut immédiat. Elle constitue par ailleurs un monolithe, unique en son genre et difficilement adaptable. Beaucoup ont essayé, peu ont réussi. Parmi les adaptation les plus heureuses, citons bien entendu les gravures de Gustave Doré, la sculpture de Rodin dédiée aux Portes de l’enfer, ou encore les tableaux de Delacroix, Botticelli et bien d’autres. A l’inverse, la palme de l’adaptation la plus ratée à ce jour est peut être Dante’s Inferno, grandiose éructation d’Electronic Arts, qui n’avait pas trouvé de meilleure idée que d’adapter le poème en jeu vidéo.

McGregor et la littérature

Les adaptation à l’Opéra de Paris connaissent elles aussi un succès variable. Adapter un texte nécessite en effet souvent d’en refonder drastiquement la dramaturgie, d’en sélectionner les scènes, d’en élaguer l’intrigue et autres sacrifices. C’est ce travail qui faisait d’ailleurs défaut lors du troisième acte du Rouge et le Noir, puisque la succession de tableaux engendrait tout autant d’interruptions qui cassaient la rythmique.

Wayne McGregor n’en est toutefois à son coup d’essai sur les adaptations littéraires. Ainsi, son Woolf Works avait fait sensation outre-Manche et dépeignait remarquablement les émotions, thèmes et style littéraire de trois oeuvres de l’autrice : Mrs Dalloway, Orlando et Les Vagues. Déjà chorégraphié sur une musique créée pour l’occasion -alors par Max Richter- et La Divine Comédie étant composée de trois parties distinctes, cette création s’annonçait donc sous les meilleurs hospices.

Thomas Adès à la rescousse

Pour composer la musique de l’enfer, faire appel à Thomas Adès était certainement un comble, ou du moins un remarquable aptonyme. Si certains compositeurs contemporains auraient certainement pertinemment bien fait ressentir l’enfer à l’auditoire, du fait de leur savante atonie, la partition, composée pour un effectif symphonique -rarement la fosse de Garnier ne fut aussi pleine pour un ballet-, déploie des trésors de couleurs et de sonorités diverses, accentuant autant l’ambiance que la dramaturgie. Le compositeur glisse d’ailleurs de subreptices citations à d’autres compositeurs, dont Offenbach avec Orphée aux enfers à la fin du premier acte, Liszt, ou bien encore Bach et une de ses passacailles, utilisée dans Le Jeune homme et la mort lors du second. A l’effectif orchestral se rajoute également des voix enregistrées, distillant notamment dans le second acte d’exquises notes orientalistes.

La première devait initialement être dirigée par Gustavo Dudamel. Toutefois, l’agenda multi-ministériel de ce dernier durant plusieurs mois aura finalement eu raison de son endurance et le maestro doit désormais lever le pied pour quelques temps. C’est donc au compositeur qu’il revient d’assurer la première. La gestuelle, sans être outrancière, est précise, et l’Orchestre de l’Opéra assure un rendu cohérent et plein de reliefs ; rythmiquement précis et mettant particulièrement à l’épreuve -et à l’honneur- certains pupitres, parmi lesquels les flûtes et les cuivres.

Premier acte d’enfer

L’Enfer, de Dante, est beaucoup plus lu que les deux parties suivantes, peut être par curiosité, si ce n’est pas voyeurisme. Wayne McGregor a manifestement intégré cela, car ce premier acte est assurément le plus littéral de tous dans son adaptation. Sur scène, un éclairage sombre et minimaliste, une vaste fresque représentant des massifs montagneux à l’envers -et qui avec certains éclairages prennent des allures d’étendue glaciale- ainsi qu’un miroir rond au plafond. Entouré de noir, il donne l’impression d’un trou permettant de remonter à la surface – et dans lequel les montagnes apparaissent à l’endroit-.

La forêt des suicidés, G. Doré
…et son illustration chorégraphique ©ODP

Ce premier acte, après un solo de Dante incarné ce soir là par Germain Louvet accompagné d’un Virgile campé par Irek Muckamedov -également répétiteur sur ce spectacle-, reprend la forme d’une déambulation au milieu des damnés, en duo ou en groupe. La chorégraphie, par certains aspects répétitifs, souligne le caractère infini des supplices. Les tandems des passeurs de Silvia Saint-Martin et de Marc Moreau ainsi que le virevoltant duo de Francesca et Paolo de Bleuenn Battistoni et Guillaume Diop sont particulièrement remarqués.

Même chose pour cette gravure de Francesca et Paolo…
…mise en corps par Wayne McGregor ©ODP

Ayatollahs du poème, perdez tout de même quelque peu espérance, car ce premier acte n’est pas sans certaines libéralités. La structure, qui faisait le génie de la vision dantesque – neuf cercles divisé en trois sections successives pour les violents contre les autres, les violents contre eux même et les violents contre Dieu- disparait, et la chronologie est quelque peu malmenée. Dante se retrouve même un instant aux prises avec un damné. Satan sera ce soir féminin, incarné par Valentine Colasante, qui s’offre le luxe d’interagir durant un duo avec Dante, avant que celui-ci ne trouve une échappatoire, subtilement signifiée par un fin rayon de lumière blanche descendant sur lui, pour quitter ces lieux.

Deuxième acte terrestre

En terme d’adaptation, le purgatoire était peut être la partie la plus délicate à adapter si l’on souhaitait éviter que ce soit le spectateur qui soit purgé. McGregor choisit pour contrer ce risque de donner une interprétation tranchant radicalement avec celle du premier acte. Passé l’étonnement des premières secondes, force est de constater qu’il s’agit d’un pari gagnant

Ce purgatoire est en effet construit comme une alternance entre les souvenirs de la vie de Dante avec Béatrice (incarné successivement par Hannah O’Neill et Bleuenn Battistoni et des scènes de repentance égrainées de pénitents. A la psalmodie d’une voix enregistrée se superpose une gestuelle n’étant pas sans rappeler certains rites funéraires moyen-orientaux, tout cela accentuant l’effet de contrition et son principe d’universalité. Le titre de l’acte, finalement, est évocateur : « PURGATORIO : Amour » ; à croire que pour McGregor comme pour Wagner, la rédemption d’un homme passe nécessairement par l’amour.

Lumineux corps célestes

Le troisième acte pousse encore davantage le concept abstrait, et ne représente plus que les retrouvailles de Dante et de Beatrice, émaillées des interventions de différents corps célestes. Alternant lui aussi entre pas de deux et effets de groupe, c’est peut être le plus réussi de la soirée, tant son rendu est hypnotique.

Le mérite, au delà du chorégraphique, revient certainement au somptueux travail de Lucy Carter aux lumières qui, conjugué aux costumes de Tacita Dean -dont on remarque le soin de sélection des matériaux-, a des allures kaléidoscopique, accentuées par les mesmérisantes projections sur un écran situé au dessus des danseurs.


Le public, manifestement aux anges après cette vision du paradis, réserve in fine un chaleureux accueil à l’ensemble de la distribution -qui salue ce soir de première sans tenir compte des grades de chacun-. Le chef, l’orchestre et naturellement le chorégraphe sont également ovationnés comme il se doit, signe de la complétude de la soirée.

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