OPERA – Voilà près de soixante ans que l’Opéra de Vichy n’avait pas produit intégralement un spectacle lyrique sur sa scène, jadis si fertile en créations. L’anomalie se trouve aujourd’hui réparée au travers d’un spectacle réjouissant, aux frontières du théâtre et de la musique, où s’illustrent pas moins de 150 enfants qui viennent sonner l’heure de la re-création. Et ça, c’est la classe !
La cour des grands
Il fallait sans doute être un peu fou pour y songer, en tout cas sacrément ambitieux, mais l’affaire a formidablement tourné pour les services de l’Opéra de Vichy, menés par Martin Kubich. Créer un opéra 100 % vichyssois, avec des décors maison, un livret et une musiques inédites, et pour chanteurs des enfants âgés de 6 à 15 ans ? Un jeu d’enfant ! Ou presque, en tout cas. Car voici deux ans que le travail est acharné, entre ateliers dans les écoles et collèges, fabrication des décors dans un lycée local avec des apprentis menuisiers, et répétitions avec les professeurs du conservatoire. Un long chemin mais au bout la lumière, et quelle lumière : celle du somptueux Opéra de Vichy pour les quelques 150 jeunes mobilisés sur ce projet, qui tous n’oublieront pas ce jour où ils auront été les vedettes d’un spectacle monté, écrit et pensé pour eux. Ça, c’est la classe !

Les 2 Léo : késako ?
Quid du propos du spectacle, baptisé Les 2 Léo ? Imaginé par le librettiste Nicolas Engel (connu notamment pour ses adaptations françaises de Grease ou du Fantôme de l’Opéra, de Andrew Lloyd Webber), il narre le quotidien de deux camarades de collège, Léonard et Léonie, qui ne partagent ni le même vocabulaire ni la même conception de l’apprentissage des leçons. Pis : parce que son papa est tombé amoureux de la mère de Léonie, Léonard décide de faire vivre un enfer à sa souffre-douleur : brimades, moqueries, humiliations. Puis un jour, par un soudain tour de passe-passe, voici les deux adolescents plongés dans le corps de l’autre. Léonard prend les traits de Léonie, Léonie devient Léonard, et les rôles de victimes et de bourreau s’inversent. Voici ainsi que Léonie s’en donne à cœur joie pour faire comprendre sa douleur à un Léonard qui découvre lui la dure vie de harcelé. Un scénario mêlant le magique au réel, jouant habilement du quiproquo et de la cocasserie, et donnant surtout l’occasion de parler de thématiques actuelles telles que le harcèlement en milieu scolaire, l’évolution des modèles familiaux, ou encore l’identité de genre. Le tout dans une histoire où évidemment tout finit bien : chacun retrouve son corps, les deux adolescents se réconcilient, et tous les élèves fêtent ce bonheur retrouvé en chantant avec la maîtresse, parce qu’au-delà du chahut tout le monde a bon fond. C’est aussi ça, la classe.

Un décor plus vrai que nature
C’est dire s’il y a matière à théâtre dans ce spectacle très familial, où les enfants présents sur scène prennent un malin plaisir à jouer ce rôle qui est le leur tous les jours : celui d’élèves, parfois dissipés et bruyants, mais toujours soucieux de récolter des bons points. Le décor scolaire est, lui, plus vrai que nature, ce qui doit ici à la mise en scène de Guillaume Nozach et aux décors et costumes de Casilda Desazars. Tous deux décrivent un univers où l’on parle verlan, où l’on s’habille avec jeans, casquettes et tee-shirts aux couleurs flashys et où l’on récite les leçons de français à renfort d’une ample gestuelle pour mieux intégrer que « passé plus passé, cela fait plus que parfait ». Les décors restituent idéalement un environnement de salle de classe tout aussi coloré et même un peu vintage, avec ces pupitres d’écoliers où tables et bancs ne font qu’un même ensemble et où l’on devine presque les encriers et ces rainures intégrées où l’on viendrait placer sa règle qui finirait par tomber par terre, évidemment.
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Des cintres descendent aussi cadres de fenêtres et autres structures peintes qui viennent ici décrire les maisons des deux adolescents, et notamment leurs chambres de rose et de bleu confondus, où elle tient un carnet intime et lui dort avec un doudou (mais chut, ne le dîtes à personne). Reste qu’avec ces panneaux de bois savamment peints et découpés, mis en valeur par les lumières aux saisissants contrastes de Marie Ducatez, des élèves menuisiers, ici mobilisés, se distinguent par la minutie de leur travail, qui leur vaut de figurer sur un programme d’opéra le temps d’un spectacle. Et ça, c’est la classe !
Machine à tubes
Et puis enfin, il est aussi question de musique, évidemment. Car l’œuvre est bien présentée comme un opéra-jazz, une manière de dire qu’il y a de tout à entendre dans cette partition signée du jeune compositeur Raphäel Bancou, qui vient la diriger du clavier : il y a là du chant lyrique, des sonorités plus pop, des reflets de Gerswhin et des refrains façon comédie musicale qui nous rappellent notamment, façon gimmick, que « les gens ne sont pas ce qu’on pense, il faut se méfier des apparences ». Une matière à tube dont s’emparent avec enjouement et sonorité les enfants présents sur scène, mais aussi les jeunes artistes professionnels venus leur prêter main forte. Dans leur double emploi de Léonard et Léonie, d’abord sous leurs traits réels puis dans le corps de l’autre, Morgan L’Hostis et Axel Sassus Bourda sont tout autant crédibles dans leur manière initiale de se détester puis dans leur façon de mieux se comprendre et de se rapprocher pour sceller leur nouveau lien fraternel.

Les bons élèves au fond de la classe
Il leur convient pour cela de jouer, mission accomplie avec tout l’entrain requis, mais aussi de chanter. Ce qui est fait avec justesse sur la base d’instruments vocaux au joli potentiel sonore, et l’on se régale donc de la performance de ces deux « Léo » entourés par deux artistes non moins engagés dans leur théâtrale et vocale mission : Loaï Rahman, qui campe notamment l’un des bravaches copains de Léonard, et Marion Preïté dont on retient l’incarnation d’une maîtresse un peu fofolle mais dont les leçons si originales font mouche. Quant aux professeurs du conservatoire (un trio de cordes, trois cuivres et une batterie), leur placement en fond de scène ne les réduit point à l’ombre tant chacune de leurs interventions, dans des emplois classiques ou plus jazzys, vient idéalement se mettre au service de l’action et des émotions, eux qui ont su donner de leur temps pour venir porter leur pierre à ce bel édifice et ça, c’est la classe !
Ainsi donc, à l’heure où sonne l’heure de la re-création pour l’Opéra de Vichy, tout concourt à la réussite d’un spectacle chaleureusement applaudi par un public de parents mais aussi de curieux, qui pourront se dire qu’ils ont assisté là au grand retour d’une production locale sur leur belle scène thermale, et ça aussi, c’est la classe.
