AccueilA la UneBreaking the waves à l'Opéra Comique : Anatomie d'une chute

Breaking the waves à l’Opéra Comique : Anatomie d’une chute

OPÉRA – Au lendemain de la clôture du Festival de Cannes, le cinéma troque le tapis rouge de la Croisette pour le rouge du velours des fauteuils de l’Opéra Comique de Paris, qui présente une adaptation lyrique du film “Breaking the waves” de Lars von Trier, par le duo Missy Mazzoli et Royce Vavrek. 

Film en 7 parties

Un des premiers succès du cinéaste danois Lars von Trier, “Breaking the waves” (sorti en 1996) est un film construit en sept chapitres (plus un épilogue), qui racontent l’histoire et l’anatomie d’un amour passionnel, qui provoquera la chute aux enfers d’une jeune femme innocente et enfantine (Bess McNeill), vivant au sein d’une communauté calviniste rigoriste du nord de l’Écosse. Éperdument amoureuse de son mari Jan, ouvrier à la plateforme pétrolière, elle va progressivement sombrer dans le délire lorsque son bien-aimé sera gravement blessé et hospitalisé après un accident de travail. Paralysé, incapable de vivre en autonomie et d’assurer son devoir conjugal, Jan pousse sa femme vers la promiscuité relationnelle (à avoir des relations avec d’autres hommes), ce qu’elle croira bénéfique à la guérison, mais qui lui vaudra en réalité l’excommunication de l’Église et de la société. Vouée à finir ses jours internée dans un asile, Bess y échappe finalement mais succombe à ses blessures après un passage chez les marins, alors que Jan, miraculeusement guéri, sauve son âme d’une condamnation aux enfers par l’Eglise et jette son corps à la mer. The things we do for love…

 

Opéra en 7 différences

L’adaptation lyrique de ce film, créée à Philadelphie en 2016 et maintenant arrivée à l’Opéra Comique pour sa création française, est l’œuvre de la compositrice Missy Mazzoli et du librettiste Royce Vavrek. Bien que la dramaturgie du livret suive de près le scénario de von Trier (co-écrit avec Peter Asmussen), l’opéra présente quelques différences avec son modèle cinématographique (nous en recensons au moins 7). Tout d’abord, la structure de 7 chapitres du film est abandonnée au profit de la division classique en trois actes d’un opéra (1), avec un nombre de personnages réduit (2) et une dramaturgie plus dense (3). Si la longueur du film permet une image plus vaste des portraits psychologiques des personnages, ici l’attention est centrée sur Bess (4), dont la fragilité mentale se dessine principalement par la musique, à la différence du jeu époustouflant d’Emily Watson (5), digne d’un Oscar. Le Jan danois (dans le film) devient norvégien dans l’opéra (6), tandis que Missy Mazzoli met en musique la voix de Dieu avec lequel la protagoniste mène un dialogue imaginaire (7). À vous de continuer le jeu…

Mise en lumière

Le metteur en scène Tom Morris a su présenter avec brio le choc des univers opposés (austérité religieuse et liberté sexuelle), marier les extrêmes avec une lucidité créative et une spatialité économique. Sur le plateau tournant s’élève une construction multifonctionnelle, symétrique et triangulaire (travail de Soutra Gilmour), avec des piliers gradués et espacés, permettant perméabilité de mouvements et changements de scènes. Les lauréats du concours Lépine de cette production sont sans doute Richard Howell, maître illuminateur, et Will Duke, maître animateur (et vidéaste), qui créent la magie par des projections en 3D, guidant le spectateur à travers les méandres dramatiques et le transportant sur les différentes localités du récit (la plateforme, le bateau, l’église ou sur des rochers et falaises d’Ecosse). Tom Morris recercle efficacement le spectacle avec la plongée du corps inanimé de Bess au début et à la fin, secondé par les effets sonores de Jon Nicholls. 

Adultère consenti… ©Opéra Comique
Anatomie vocale

Le prix de la meilleure interprète revient ce soir à la soprano Sydney Mancasola dans la peau de Bess McNeill. Débutante à l’Opéra Comique, elle se démarque plutôt par ses qualités opératiques que comiques, emplissant pleinement la salle d’une voix douce et ronde, finement nuancée et d’une solide prononciation (l’accent écossais se profile dans ses prières). Son “partner in crime”, le baryton Jarrett Ott se présente en couleurs chaleureuses, soutenu par une émission solide et résonnante, malgré quelques limites dans les aigus. Dans les rôles secondaires, on retrouve Elgan Llŷr Thomas en Dr Richardson, aux sonorités irradiantes mais dont l’expression ne convainc pas trop ni l’auditeur ni le spectateur ; Wallis Giunta est Dodo, la belle soeur de Bess, à la voix charnue et sombre de mezzo, légèrement vibrée mais compassionnelle. La mère de Bess est Susan Bullock, une figure sombre et souffrante, à cheval entre le parlé et le chanté, dont l’appareil svelte manque de soutien et n’est que l’ombre de la grande voix wagnérienne d’autrefois. La basse étoffée d’Andrew Nolen interprète le pasteur avec un sérieux vocal et théâtral, contrairement au Terry nonchalant de Mathieu Dubroca, un baryton bien nourri et projeté, membre du chœur Aedes. Son collègue choriste/soliste, la volumineuse basse Pascal Gourgand, donne de l’obscurité à son rôle de marin violent. 

Au cœur du chœur

Mathieu Romano est à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris, qui joue avec précision et puissance dramatique la partition de ce thriller ciné-lyrique. Il fait ressortir les nuances de ce riche tissu sonore, qui va des basculements chromatiques jusqu’aux stridences des cordes, recourant à des effets sonores très efficaces, comme ceux de la harpe ou de la guitare électrique, ou encore du trombone qui évoque les profondeurs maritimes. Mais c’est l’effectif dirigé justement par Mathieu Romano, le chœur masculin Aedes, qui remporte les cœurs du public. Ils sont les vecteurs du drame, en incarnant de multiples personnages tout au long de la soirée tout en sachant se démarquer, notamment lorsqu’ils entonnent en duo avec Sydney Mancasola la voix (ou les voix) de Dieu, par des glissandi et chromatismes polyphoniques, expressifs et superbement coordonnés.

Heureusement, cette scène n’est que du théâtre… ©Opéra Comique

L’Opéra Comique, fidèle à sa tradition pluriséculaire de création contemporaine, après les récents succès de L’Inondation et des Éclairs, prouve une fois de plus que l’opéra contemporain mérite bel et bien sa place au répertoire des maisons lyriques. Et si on se fie aux critères de l’applaudimètre du Festival de Cannes, la durée des ovations à l’issue de Breaking the waves témoigne d’un succès retentissant. 

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